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Discours de Pascal Clément,
Garde des Sceaux, Ministre de la justice

Rentrée du barreau

Vendredi 24 novembre 2006

 

Monsieur le Bâtonnier de Paris,
Madame le Ministre, chère Nicole Guedj
Messieurs les Députés,
Mesdames et Messieurs les Hautes Personnalités du monde judiciaire,
Mesdames et Messieurs les Avocats,
Mesdames et Messieurs,

Décidément, le plaisir de participer à cette cérémonie de rentrée ne peut s’émousser. Année après année, la jeune garde du barreau vient présenter ses hommages à ses plus hautes instances et, avec solennité, elle se livre à un concours d’impertinences dont nous sommes les victimes consentantes.

Dans quelques instants, je ne serai pas non plus épargné, mais c’est justement le privilège des fonctions que j’occupe que de suivre, tous les ans à la même époque, une cure d’humilité. Car, ici, l’ironie est maniée avec conviction.

Il y a de l’enthousiasme chez les jeunes avocats. Ils le mettent au service de l’éloquence, en cherchant, quoique avec présomption, à concurrencer leur bâtonnier dont nous connaissons les mérites en ce domaine.

D’Alembert disait un jour devant l’Académie Française que « l’éloquence est le talent qui permet d’imprimer avec force dans l’âme des autres le sentiment profond dont on est pénétré ».

Il ajoutait que « ce talent sublime a son germe dans une sensibilité rare pour le grand et pour le vrai ». Je suis heureux que cette sensibilité et cette noble tradition des gens de justice, et du barreau de Paris, en particulier, soient toujours aussi vivaces.

Elle honore toute la communauté des avocats, dont je retiens, Monsieur le Bâtonnier, qu’il ne faut pas avoir peur, si j’ai bien entendu vos propos. Je tiens donc à vous rassurer : je viens devant vous sans peur … Et pourtant, je viens vous parler de la réforme de la justice.

Mais cette réforme ne saurait vous déplaire. Elle a pour objectif de garantir les libertés des justiciables.

Si l’on devait la rattacher à nos grands principes juridiques, je dirais qu’elle s’inspire de l’article 7 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen et de l’article 6 de la convention européenne des Droits de l’Homme. Le premier rappelle que «tout homme est présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable».

Le deuxième précise que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial ».

L’affaire OUTREAU pose de nombreuses questions aux professionnels du droit, sur l’organisation judiciaire, sur la formation des magistrats, sur l’expertise ou sur l’étendue des droits de la défense. Au citoyen, elle n’en pose qu’une : et si cela avait été moi ?

Je veux dire par là que l’émotion de tous les Français face aux acquittés d’Outreau est telle que chacun s’est identifié au drame qu’ils ont vécu.


C’est donc à cette question, à cette seule question, que je veux répondre : comment juger les coupables sans condamner des innocents ?

1 - Cet objectif n’est possible que si la détention provisoire retrouve son caractère exceptionnel.

La détention provisoire ne doit être pas être la norme, notamment dans les affaires correctionnelles.
Elle doit, en outre, être limitée à la durée strictement nécessaire à ses objectifs.

Le projet de loi que j’ai présenté il y a un mois devant le conseil des ministres prévoit que l’ordre public ne pourra plus être utilisé pour la prolongation ou le maintien en détention en matière correctionnelle. Ce critère est en revanche conservé pour le placement en détention.

L’assistance par un avocat lors du débat relatif à la détention provisoire sera obligatoire. Le débat sera public sauf opposition du parquet ou du mis en examen dans certains cas limitativement énumérés, telles que les nécessités de l’instruction, de la sérénité des débats, de la dignité de la personne ou pour respecter les intérêts d’un tiers.

Pour limiter les détentions provisoires, le Juge des Libertés et de la Détention pourra différer le débat préalable au placement en détention provisoire afin de vérifier certains éléments de personnalité du mis en examen.

Le président de la chambre de l’instruction pourra enfin organiser une audience publique de la chambre de l’instruction six mois après le premier placement en détention provisoire. Elle portera sur l’ensemble de la procédure.

2 - L’exigence d’un procès équitable nécessite d’améliorer le contradictoire pendant l’enquête et au cours de l’instruction.

Le renforcement du contradictoire suppose d’abord, en matière criminelle, l’enregistrement audiovisuel des interrogatoires des personnes gardées à vue ou mises en examen.

Cela existe déjà dans nombre de pays étrangers, comme l’Angleterre, pour les gardes à vue, ou l’Italie, pour les interrogatoires devant les juges d’instruction.

Le but n’est nullement de revenir sur le caractère écrit des procédures, ni de se défier des enquêteurs ou des magistrats, mais de sécuriser les actes qui ont été accomplis dans les affaires les plus graves en permettant, en cas de contestation, le visionnage des enregistrements.

Le renforcement du caractère contradictoire de l’instruction aboutit à l’adoption de mesures majeures.

Les parties auront la possibilité de demander des confrontations individuelles. Elles pourront également contester la mise en examen après chaque notification d’expertise ou interrogatoire, ainsi que tous les 6 mois. Actuellement, cela n’est pas possible après les 6 premiers mois.

L’expertise sera rendue plus contradictoire sur plusieurs points. Les modifications proposées reprennent en grande partie les propositions du groupe de travail mis en place à la Chancellerie il y a plus d’un an avec les avocats.

Une information des parties de la décision du juge ordonnant une expertise sera prévue. Les parties auront la possibilité de faire désigner un co-expert de leur choix, de préciser la mission confiée à l’expert et d’obtenir un rapport d’étape ou un pré-rapport.

Par ailleurs, le règlement des informations sera aussi concerné par ce renforcement du contradictoire.

Ainsi, le juge devra statuer au vu des réquisitions du parquet et des observations des parties qui, chacun, auront pu répliquer à ces réquisitions ou observations. Désormais, l’ordonnance de renvoi devra préciser les éléments à charge et à décharge concernant chacune des personnes mises en examen.

Entendre, écouter et respecter le mis en examen, c’est justement faire le bilan écrit de tous les éléments ayant émergé lors de l’instruction. C’est pourquoi je suis très attaché à cette mesure qui sera une preuve tangible de l’investissement et de l’objectivité du juge d’instruction dans ses fonctions.

3 – Garantir un procès équitable, c’est aussi limiter la durée des instructions.

Trop souvent, la durée des instructions est excessive, ce qui porte une atteinte injustifiée à la présomption d’innocence, atteinte qui devient inadmissible lorsque des personnes sont détenues.

Il convient d’éviter l’ouverture d’instructions injustifiées. Une limitation est donc apportée à la règle selon laquelle le criminel tient le civil en l’état, cette règle n’étant maintenue que pour l’action civile en réparation du dommage causé par l’infraction.

Ainsi une plainte avec constitution de partie civile pour vol déposée par l’employeur dans le seul but de paralyser la contestation du licenciement aux prud’hommes n’aura plus l’effet recherché, ce qui devrait limiter le nombre des informations.

4 – Approfondir l’exigence de justice nécessite par ailleurs de favoriser le travail en équipe des magistrats.

La solitude du juge d’instruction a depuis longtemps été dénoncée. Cette solitude est d’autant plus problématique lorsqu’elle concerne un jeune magistrat qui se trouve chargé, dès son premier poste, d’une affaire présentant une particulière complexité.

Je propose ainsi la création des pôles de l’instruction et l’extension du recours à la cosaisine.

Ces pôles seront compétents en matière de crimes et pour les informations faisant l’objet d’une cosaisine ; les autres affaires resteront instruites par le juge d’instruction territorialement compétent.

Tous les Tribunaux de Grande Instance conserveront donc au moins un juge d’instruction. Dans tous les cas, le jugement des affaires continuera de relever de la juridiction compétente.

Pour accompagner cette réforme, je souhaite que les frais de déplacements supplémentaires supportés par les avocats pour se rendre dans les pôles de l’instruction soient pris en compte au titre de l’aide juridictionnelle.

Par ailleurs, afin d’assurer un accès en temps réel aux dossiers, j’ai décidé d’accélérer la mise en place de la numérisation des procédures pénales, en concertation bien sûr avec la profession d’avocats.

D’ici la fin de l’année, une centaine de tribunaux de grande instance devraient expérimenter cette numérisation.

Ces pôles permettront enfin une meilleure répartition des moyens matériels, notamment pour développer la visioconférence.

5 – Je veux enfin renforcer la protection des mineurs victimes

Les dysfonctionnements de l’affaire Outreau ne doivent pas faire oublier la réalité des souffrances subies par les mineurs victimes de violences sexuelles.

Aussi, je souhaite rendre obligatoire l’enregistrement des auditions des mineurs victimes.

Par ailleurs, le projet prévoit l’assistance obligatoire d’un mineur victime par un avocat lors de son audition par le juge, le cas échéant avec un avocat commis d’office.

Vous le savez, cette mesure est incontournable, tant pour protéger le mineur que pour favoriser la manifestation de la vérité.

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Le Parlement examinera cette réforme dès la mi-décembre et je souhaite qu’elle soit adoptée dans les premiers mois de l’année 2007.

Bien entendu, ce n’est pas le grand soir de la justice, mais il s’agit d’un premier pas fondamental. Les dispositions de ce projet de loi sont une avancée majeure dans le rééquilibrage de notre procédure pénale.

Elles permettront à l’institution judiciaire d’intervenir de façon plus transparente et mieux comprise des justiciables, dans un plus grand respect des droits des parties, et tout spécialement des droits de la défense.

En effet, je veux que ce projet de loi soit exemplaire sur les droits de la défense et que le rôle de l’avocat y soit essentiel, car on ne peut limiter les erreurs judiciaires sans renforcer la place de l’avocat dans le procès pénal.

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L’accès de tous les citoyens à une défense de qualité est également au cœur de mes préoccupations.

Je ne saurai donc vous répondre, Monsieur le bâtonnier, sans évoquer le sujet de l’aide juridictionnelle.

Je suis parfaitement conscient des difficultés rencontrées par les avocats en matière d’aide juridictionnelle et je suis avec attention les actions qui sont actuellement menées par les barreaux.

Depuis 5 ans, plusieurs réformes sont venues améliorer la rétribution de l’avocat au titre de l’aide juridictionnelle.

Je rappelle ainsi qu’en 2001, une première revalorisation du barème de rétribution de plusieurs procédures a été réalisée pour un coût global de 56 millions d'euros. En 2002, des travaux ont été engagés avec vos instances professionnelles et ont donné lieu, en septembre 2003, à une nouvelle majoration du barème pour quinze procédures, représentant un effort financier de 11,3 millions d’euros. Enfin, la loi de finances pour 2004 a augmenté de 2 % le montant de l'unité de valeur pour un coût de 4,5 millions d’euros.

Par ailleurs, j’ai décidé, en octobre 2005, la constitution d’un groupe de concertation avec les représentants de la profession, lequel se réunit régulièrement.

Vous le savez, j’ai annoncé le 15 septembre dernier, devant le Conseil National des barreaux, une revalorisation pour l’année 2007 de 6 % du montant de l’unité de valeur.

Cela représente un effort financier de 16,3 millions d’euros dans un contexte budgétaire particulièrement difficile.

Quelle est la situation ?

Les dépenses d’aide juridictionnelle augmentent régulièrement. Elles représentent un poids de plus en plus lourd pour les finances publiques. L’augmentation de l’unité de valeur ne peut être la seule réponse.

Il me semble préférable d’agir sur les barèmes par type d’intervention des avocats qui permettent de mieux rémunérer leur action pour les interventions les plus complexes.

Je vous propose d’ouvrir dans les prochaines semaines une réflexion approfondie sur ce sujet. J’ai donc décidé d’organiser des « Assises de l’aide juridictionnelle et de l’accès au droit » au mois de janvier.

Elles seront l’occasion d’échanger, avec l’ensemble des acteurs concernés, sur l’avenir de l’aide juridique, qu’il s’agisse des niveaux de rétribution de la profession d’avocat, de la reconnaissance d’une défense de qualité, et de la coordination de l’aide juridictionnelle avec l’assurance de protection juridique.

En effet, pour beaucoup de nos concitoyens, exclus par le niveau de leurs revenus du dispositif de l’aide juridique, l’accès au droit passe avant tout par l’assurance de protection juridique.

Sans attendre le résultat de ces Assises, la Chancellerie a rédigé, en accord avec le ministère de l’économie, des finances et de l’industrie, un projet de réforme de l’assurance de protection juridique qui a reçu l’arbitrage favorable du Premier ministre.

Cette réforme conduit à améliorer le dispositif existant dans deux directions essentielles.

Il s’agit en premier lieu de réinsérer l’avocat dans la phase de tentative de règlement amiable du litige. Il apparaît en effet indispensable que l’assuré soit assisté ou représenté par un avocat lorsque son adversaire l’est également de son côté. Seront ainsi garantis l’égalité des parties et la confidentialité des échanges, propices à la transaction, que seul permet le dialogue entre deux avocats.

En outre, l’assurance de protection juridique conduit trop souvent l’assuré à se voir proposer un avocat recommandé par l’assureur. L’avocat ainsi désigné ne peut développer sa stratégie de défense qu’en tenant compte des limites de coût fixées par l’assureur. Désormais, l’avocat choisi par l’assuré n’aura de compte à rendre qu’à ce dernier et pour bien marquer cette indépendance, il sera interdit à l’assureur de négocier avec l’avocat le montant de ses honoraires.

La qualité de la prestation juridique de cette assurance ne peut en effet être améliorée sans garantir le caractère libéral de la profession d’avocat.
La réforme, qui sera de nature à développer cette assurance afin qu’elle constitue une réponse efficace pour l’accès au droit des classes moyennes, est essentielle : elle est attendue tant par les représentants des consommateurs que par vous-mêmes.

Je m’engage à la faire aboutir avant la fin de la législature : elle sera examinée par le Sénat en janvier et par l’Assemblée Nationale en février.

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Vous avez également évoqué, Monsieur le Bâtonnier, le futur TGI de Paris. Je sais à quel point les avocats parisiens sont attachés à l’île de la Cité. Moi aussi, j’aime cet endroit dont la localisation centrale est un symbole de la place juridique de Paris.

Le site de l’hôtel Dieu a été étudié par mon prédécesseur et la démonstration a été malheureusement faite qu’à lui seul il était très insuffisant pour ce projet. Le maire de Paris s’y est d’ailleurs fortement opposé.

Sur 12 sites étudiés, un seul permet d’implanter le TGI dans des conditions conformes à notre idée d’une justice de qualité , c’est le site « Tolbiac .»

Le concours international d’idées lancé cet été par l’établissement public du palais de justice de Paris, permettra de savoir d’ici peu si les architectes et urbanistes pensent que ce TGI est réalisable sur ce site.

Ensuite viendra le temps de la décision et je vous assure que vous serez de nouveau consultés.

J’ajouterai que le déménagement du TGI aurait un autre effet bénéfique : il permettra de regrouper dans l’ile de la Cité des juridictions aujourd’hui dispersées dans Paris.

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Je voudrais enfin aborder, avec vous, la question du blanchiment.
La transposition de la deuxième directive a donné lieu à un important travail de concertation, permettant de faire émerger des solutions, qui préservent l’éthique professionnelle exigeante que vous défendez avec raison. C’est donc en utilisant cette même méthode, faite de dialogue et de concertation, que nous devons aborder la transposition de la directive du 26 octobre 2005 (dite troisième directive anti-blanchiment).

C’est pourquoi, j’ai, avec mon collègue Thierry BRETON, confié à deux éminentes personnalités, un avocat, Maître Jean-Louis FORT et un haut magistrat Monsieur Yves Charpenel, avocat général près la Cour de cassation, une mission conjointe visant à préparer cette transposition.

Il leur appartient d’ouvrir des consultations nombreuses, notamment avec les représentants de votre profession. Aujourd’hui encore, il s’agit de concilier le respect des exigences de la directive et des recommandations du GAFI avec les principes essentiels qui guident la profession d’avocat.

Je sais pouvoir compter sur votre esprit de dialogue et votre sens des responsabilités pour y parvenir.

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Monsieur le Bâtonnier,

En juin dernier, devant l’Académie des Sciences Morales et Politiques, vous définissiez ce que serait l’avocat de demain.

Vous l’espériez « acteur reconnu d’un système judiciaire réformé et sentinelle vigilante des droits fondamentaux ».

Je partage votre conviction.

La réforme de la justice ne se fera pas sans vous, et je tiens à vous assurer que je veux la construire avec vous.

Je vous remercie de votre attention.

 


  
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© Ministère de la justice - novembre 2006

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