Adaptation du droit pénal au statut de la Cour pénale internationale : analyse et recommandations de la CFCPI

Le 10 juin 2008, le Sénat a adopté, en première lecture, le projet de loi portant adaptation du droit pénal à l’institution de la Cour pénale internationale.

La CFCPI, dont la FNUJA est membre, se réjouit de certaines avancées majeures pour le droit français, notamment la définition, tant attendue des crimes de guerre en droit français. Elle note que certaines de ses recommandations ont été intégrées dans le projet de loi par le Sénat.

Elle déplore cependant que le projet de loi comprenne des erreurs juridiques, des omissions importantes et des dispositions restrictives entravant la lutte contre l’impunité.



La CFCPI rappelle que ses recommandations sont guidées par le « Principe de complémentarité ».

Il s’agit d’un principe fondamental dans le fonctionnement de la justice internationale, conçu par la Conférence de Rome en 1998 et inscrit à l’article 1er du Statut de la Cour, à la définition duquel la France a beaucoup contribué. Ce principe veut que les Etats aient, les premiers, vocation à juger les auteurs des crimes les plus graves affectant la communauté internationale toute entière. L’expérience des tribunaux pénaux internationaux a montré qu’une juridiction internationale ne peut pas, seule, juger tous les criminels. Les juridictions criminelles nationales doivent continuer à connaître de la majorité des procès et la juridiction internationale, complémentaire des précédentes, ne peut avoir vocation à connaître que des cas dont la portée est la plus grave, la plus large ou la plus emblématique.

Cela impose aux Etats d’adapter leur droit pénal afin que leurs tribunaux nationaux puissent exercer les mêmes compétences que la Cour et connaître des mêmes crimes. Ces crimes doivent donc être incriminés et punis par la loi pénale interne de chacun des Etats parties au Statut de Rome. Il faut aussi que les règles de compétence du juge national lui permettent de connaître non seulement des crimes commis sur son territoire ou par ses nationaux, mais aussi de ceux commis où que ce soit dans le monde, par des auteurs étrangers venus se réfugier sur son territoire en croyant échapper ainsi à la justice.

C’est dans cet esprit que la CFCPI propose les améliorations qui suivent, sans lesquelles la justice française ne pourra tenir le rôle qui est le sien dans l'émergence d'un espace pénal international.

I. Sur la définition des crimes visés au Statut de Rome

A – Le crime de génocide

L’article 6 du Statut de Rome reprend à la lettre la définition du génocide donnée par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 que la France a ratifiée le 14 octobre 1950.

La définition du génocide donnée par l’article 211-1 du Code pénal français est plus protectrice que le Statut en ce qu’elle réprime les actes visant un « groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire ».

En revanche, elle exige la preuve d’un « plan concerté » que ne retient pas le Statut. Cette exigence nationale, liée aux crimes nazis, qui ont été parmi les plus documentés de l’histoire, ne se justifie pas dans les poursuites actuelles englobant notamment des crimes commis en l'absence de tout plan concerté. Ce critère pourrait favoriser l'impunité des auteurs de tels faits. Cette exigence d'un « plan concerté », historiquement datée, doit être supprimée.


AMENDEMENT N° 1 : La CFCPI recommande qu’à l’article 211-1 du Code pénal les mots « en exécution d’un plan concerté tendant à » soient remplacés par les mots « en vue de ».


Correctionnalisation du crime de provocation au génocide non suivie d’effet (article 1 du projet de loi)
Le projet de loi prévoit que l’infraction de provocation à commettre un génocide est criminelle lorsqu’elle est suivie d’effets, mais correctionnelle lorsqu’elle ne l’est pas (le nouvel article 211-2 alinéa 2 du Code pénal la punissant alors de 7 ans d’emprisonnement et 100.000 euros d’amende).

Or le Statut de la Cour pénale internationale ne fait pas de différence selon l’effet produit ou non par l’incitation à commettre un génocide. Il indique simplement qu’une personne est pénalement responsable si « s’agissant du crime de génocide, elle incite directement et publiquement autrui à le commettre » (article 25-3-e). Il convient de relever que la jurisprudence pénale internationale prévoit que l’incitation à commettre un génocide est constitutive d’un crime qu’elle soit suivie d’effet ou non (voir notamment TPIR, affaire Nahimana, décembre 2003, §1015 et §1029).

L’adaptation du droit pénal interne au Statut de la Cour pénale internationale ne peut se faire en correctionnalisant l’un des crimes que la communauté internationale considère être l’une des infractions les plus graves.


AMENDEMENT N°2 : La CFCPI recommande que l’alinéa 2 du projet d’article 211-2 du Code pénal soit modifié ainsi : « Si la provocation n’a pas été suivie d’effet, les faits sont punis de sept ans d’emprisonnement et de 100.000 € d’amende --- ans de réclusion criminelle».

B – Le crime contre l’humanité (article 2 du projet de loi)

La CFCPI approuve la reprise à l’article 2 du projet de loi, d’un grand nombre des crimes définis à l’article 7 du Statut de Rome. Cependant elle regrette que la définition du crime contre l’humanité, retenue par le Sénat, demeure imparfaite et restrictive. Afin de se conformer au droit international, la CFCPI demande à l’Assemblée nationale de prendre en compte les recommandations suivantes :

1) Suppression de la mention « commis en exécution d’un plan concerté »

Le projet de loi conserve l’existence préalable d'un « plan concerté » comme élément constitutif de ce crime. En ratifiant le Statut de la CPI, la France a cependant accepté la définition de ce crime telle qu’énoncée à l’article 7. Pour les mêmes raisons susmentionnées pour le crime de génocide, cette référence doit être supprimée.


2) Ajout de l’esclavage sexuel dans la définition des violences sexuelles

La définition du crime contre l’humanité, retenue par le Sénat, n’inclut pas l’« esclavage sexuel », contrairement au Statut de la CPI.


3) Extension de la définition des disparitions forcées

La CFCPI note que la définition relative aux disparitions forcées, telle qu’amendée par le Sénat, reprend en partie la définition prévue au Statut de la CPI. Elle tient cependant à porter à l’attention du législateur la loi n° 2008-704, du 17 juillet 2008, autorisant la ratification de la convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Cet instrument international oblige la France à introduire dans son droit pénal le crime de disparition forcée tel qu’il a été défini dans la convention, c’est-à-dire de manière plus large que celui prévu dans le Statut de la CPI.


4) Introduire le terme d’apartheid

Le terme d’« apartheid » qui figure à l'article 7 (1) du Statut de Rome et se trouve défini à l’article 7 (2) h, n’est pas repris dans le projet de loi français, qui retient le crime de « ségrégation », alors que ces deux termes ne sont pas synonymes et que l'apartheid correspond à une notion précise en droit international . En effet, le « crime d'apartheid », englobe « les politiques et pratiques semblables de ségrégation et de discrimination raciales ».


Amendement n° 3 : La CFCPI recommande que l’article 7 du Statut de Rome soit repris dans son intégralité et substitué à la rédaction actuelle de l’article 212-1 du Code pénal.



C – Les crimes de guerre (article 7 du projet de loi)

La CFCPI approuve la reprise, à l’article 7 du projet, d’un grand nombre des crimes de guerre définis à l’article 8 du Statut de Rome. Elle ne saurait par ailleurs critiquer la volonté du législateur d’aller au-delà du Statut de la Cour pénale internationale sur certains points (futur article 461-18). Elle accueille également favorablement les améliorations apportées par le projet de loi par rapport au Statut de la Cour (futurs articles 461-8 ; 461-13 ; 461-14).

Toutefois un certains nombres de préoccupations demeurent : certains crimes de guerre ont été omis dans le projet de loi (1) ou correctionnalisés (2). Pour d’autres, la définition qu’en donne le projet de loi mérite d’être harmonisée avec celle du Statut de la Cour pénale internationale (3). Enfin le projet de loi reprend la distinction, initiée par le Statut, entre conflits armés internationaux et non internationaux, mais omet de définir ces derniers, contrairement au Statut (4).


1) Omission de certains crimes

L’esclavage sexuel

Le projet de loi omet l’esclavage sexuel comme crime de guerre, alors qu’il est prévu par le Statut de la Cour pénale internationale, aussi bien dans les cas de conflits internationaux (article 8-2 b xxii) que dans ceux de conflits non internationaux (article 8-2 e vi).


Amendement n° 4 : La CFCPI recommande que les mots « à de l’esclavage sexuel » soient ajoutés au projet d’article 461-4 du Code pénal :

« Article 461-4. – Le fait de forcer une personne protégée pas le droit international des conflits armés à se prostituer, de la contraindre à une grossesse non désirée, à de l’esclavage sexuel, de la stériliser contre sa volonté ou d’exercer à son encontre toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable, est puni de la réclusion criminelle à perpétuité».





Retard injustifié, après la cessation des hostilités, dans le rapatriement des prisonniers de guerre ou la libération des civils internés

La CFCPI agit en faveur du respect de l’intégrité du Statut de la Cour pénale internationale et demande que la législation pénale interne soit mise en conformité avec ce Statut. Elle relève cependant que le Protocole additionnel I aux Conventions de Genève de 1949 (ratifié par la France le 11 avril 2001) incrimine en son article 85-4-b le retard injustifié, après la cessation des hostilités, dans le rapatriement des prisonniers de guerre ou la libération des civils internés. Or ce crime ne figure ni dans le code pénal actuel, ni dans le projet de loi en cours.





2) Correctionnalisation du crime de détention illégale

La CFCPI est extrêmement préoccupée par la rédaction actuelle du projet de loi qui conduit à la correctionnalisation du crime de détention illégale, que prévoit le Statut de la Cour pénale internationale (article 8-2 a vii). En effet, la détention illégale n’est incriminée qu’au titre des « atteintes à la liberté individuelle » prévues au projet d’article 461-6 qui renvoie au droit commun pour la définition de l’infraction de « séquestration arbitraire » (actuel article 432-4 du Code pénal).

Le texte renvoie au projet d’article 462-1 pour la détermination des peines : il résulte de ces dispositions combinées que la détention illégale ne sera punie de réclusion criminelle que si elle dépasse sept jours, et sera considérée comme un simple délit dans le cas contraire.

Cette rédaction calquée sur le régime pénal de l’infraction de séquestration en droit commun, méconnaît totalement la spécificité des questions liées à la détention en période de conflit armé, qui inclue la notion de détention de courte durée et la difficulté d’établir sur la durée l’identité de l’autorité détentrice, ainsi que le cadre légal national applicable (notamment avec les transferts de détenus entre autorités détentrices de nationalités différentes). C’est pour ces raisons que la détention illégale constitue une infraction grave aux conventions de Genève, qui ne saurait être réprimée en droit interne autrement que comme un crime.

L’adaptation du droit pénal interne au Statut de la Cour pénale internationale ne peut se faire en correctionnalisant un crime de guerre que la communauté internationale considère être l’une des infractions les plus graves.



Amendement n° 5 : La CFCPI recommande que le projet d’article 461-6 du Code pénal soit modifié comme suit :

« Article 461-6 - Sont passibles des aggravations de peine prévues à l’article 462-1 de … ans de réclusion criminelle les atteintes à la liberté individuelle définies à l’article 432-4 et commises à l’encontre d’une personne protégée par le droit international des conflits armés, en dehors des cas admis par les conventions internationales »

Elle recommande, en outre, qu’au projet d’article 462-1 alinéa 1 soit supprimée la mention de l’article 461-6.





3) Les problèmes de définition de certains crimes de guerre

La modification par le projet de loi de la définition de certains crimes, telle que prévue dans le Statut de la Cour pénale internationale, minimise considérablement la protection accordée aux personnes et aux biens protégés par le droit international humanitaire.


a) Mutilations et expériences médicales ou scientifiques sur les personnes

Au projet d’article 461-3, le terme « gravement » a été substitué au mot « sérieusement » employé à l’article 8-2-b-x du Statut de la Cour pénale internationale ce qui conduit à une définition du crime plus restrictive que sa définition internationale.



Amendement n° 6 : La CFCPI recommande que le projet d’article 461-3 soit modifié comme suit :

« Article 461-3. – Le fait de soumettre des personnes d’une partie adverse à des mutilations ou à des expériences médicales ou scientifiques, qui ne sont ni justifiées par des raisons thérapeutiques ni pratiquées dans l’intérêt de ces personnes et qui entraînent leur mort ou portent
gravement sérieusement atteinte à leur santé ou à leur intégrité physique ou psychique, est puni de la réclusion criminelle à perpétuité ».



b) Vol et recel

Le projet de loi prévoit à l’article 461-16 d’aggraver les peines du vol et du recel lorsqu’ils sont commis à l’encontre « d’une personne protégée par le droit international des conflits armés ». Or, ce texte est consacré aux atteintes aux biens, qui doivent être protégés indépendamment de toute référence à leur propriétaire. Le texte pénal doit en conséquence incriminer de tels actes lorsqu’ils sont commis à l’encontre d’un bien, sans condition liée à leur éventuel propriétaire ou possesseur.

La CFCPI relève également la confusion faite par le rapporteur et la Garde des Sceaux, lors de l’examen du texte au Sénat, quant à la notion de « biens protégés ». La CFCPI rappelle en effet que sont considérés comme biens protégés en cas de conflit armé, les biens auxquels le droit coutumier ou des conventions internationales accordent une protection contre des attaques ou autres actes hostiles (destruction, représailles, capture, confiscation etc.). Il peut ainsi s’agir, par exemple, de biens de caractère civil, de biens culturels, d’unités et de moyens de transport sanitaire. La notion de biens protégés ne se limite pas seulement aux « hôpitaux et aux ambulances », contrairement à ce qu'ont affirmé le rapporteur au Sénat et la Garde des Sceaux.



Amendement n° 7 : La CFCPI recommande que soit insérée une référence aux biens dans le premier alinéa du projet d’article 461-16:

« Article 461-16. – À moins qu’elles ne soient justifiées par des nécessités militaires, constituent également des crimes ou des délits de guerre et sont passibles des aggravations de peines prévues à l’article 462-1, les infractions suivantes commises à l’encontre d’une personne ou d’un bien protégés par le droit international des conflits armés » (reste de l’article sans changement).





c) Méthodes de combat proscrites

Le projet d’article 461-23, 4° n’incrimine que l’usage des armes, projectiles, matériels ou des méthodes de combat faisant l’objet d’une interdiction générale et ayant été inscrits dans une annexe au statut de la Cour pénale internationale acceptée par la France.
Ce texte ne reproduit qu’une partie de l’article 8.2 (b) (xx) du Statut de Rome et dénature sa signification. En effet cet article 8.2 (b) (xx) incrimine les armes, projectiles et matériels et méthode de combat qui sont de nature à causer des souffrances inutiles ou des maux superflus ou qui sont, par nature, de caractère indiscriminé et ce, en violation du droit international des conflits armés.

Certes le Statut de Rome précise que cette interdiction doit faire l’objet d’une inscription dans une annexe ultérieure. Mais cela ne signifie pas qu’en l’absence d’une telle annexe, les Etats soient libérés des engagements juridiques déjà pris par ailleurs. L’existence de cette annexe ne peut être conçue que comme un élément permettant de limiter l’opposabilité du droit pénal national à des Etats Tiers. En aucun cas, elle ne doit servir, comme c’est le cas dans le projet de loi, à « légaliser » en France des pratiques prohibées par les quatre conventions de Genève de 1949 et leurs deux protocoles additionnels de 1977 relatifs au droit des conflits armés, ratifiés par la France.

Il convient donc de rétablir le texte de 8.2 (b) (xx) du Statut de Rome et de supprimer la référence à une annexe éventuelle et future qui rend le texte inopérant.


b[Amendement n° 8 : La CFCPI recommande que l’alinéa 4° du projet d’article 461-23 soit rédigé de la façon suivante :
« Article 461-23. – Est puni de la réclusion criminelle à perpétuité le fait :
[…]
4° D’employer des armes, des projectiles, des matières et des méthodes de guerre de nature à causer des maux superflus ou des souffrances inutiles ou à frapper sans discrimination en violation du droit international des conflits armés, à condition que ces armes, projectiles, matières et méthodes de guerre fassent l’objet d’une interdiction générale prévue par le statut de la Cour pénale internationale."]b




4) L’absence de définition des conflits armés internationaux et non-internationaux

Le champ d’application des crimes de guerre n’est pas clairement défini. En effet le projet de loi reprend la distinction faite par le Statut de Rome entre conflits armés internationaux et non-internationaux, sans pour autant définir ces derniers, à la différence du Statut qui précise à l’article 8-2 (d et f) la notion de conflit armé non international. Compte tenu de la variation du contenu des incriminations selon le type de conflit, il importe d’éviter tout risque juridique concernant ces définitions.

Amendement n° 9 : La CFCPI recommande que soient reprises les précisions données à l’article 8-2 d et f du Statut de la Cour pénale internationale sur la notion de conflit armé non international : ce texte stipule que les conflits non internationaux « ne sont pas des situations de troubles et tensions internes telles que les émeutes, les actes isolés et sporadiques de violence ou les actes de nature similaire », mais « des conflits armés qui opposent de manière prolongée sur le territoire d'un État les autorités du gouvernement de cet État et des groupes armés organisés ou des groupes armés organisés entre eux ».



5) Disposition spécifique sur l’exercice par la France de son droit à la légitime défense (au sens de la Charte des Nations-Unies)

Ce texte tend à exclure de la qualification de crime de guerre l’utilisation par la France, dans le cadre de l’exercice de son droit de légitime défense, de « l’arme nucléaire ou de toute autre arme dont l’utilisation n’est pas prohibée par une convention internationale ».

Cette disposition est très critiquable et ne peut être acceptée en l’état, car elle revient à exclure l’application du droit international humanitaire et du droit pénal international toutes les fois où la France agirait dans le cadre de la légitime défense (au sens de la Charte des Nations-Unies). Cela procède d’une confusion grave, déjà dénoncée par la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, entre le jus ad bellum (détermination, notamment par la Charte des Nations-Unies, des cas dans lesquels le recours à la force peut être admis) et le jus in bellum (comportements interdits y compris lorsque le recours à la force est légal et notamment en cas de légitime défense).


a) Sur le recours à l’arme nucléaire

La CFCPI rappelle que la Cour internationale de justice (CIJ) a rendu le 8 juillet 1996 un Avis consultatif sur la licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires. Selon cet avis, le droit de recourir à la légitime défense est soumis à des conditions de nécessité et de proportionnalité . Pour être licite, l’emploi de la force doit également satisfaire aux exigences du droit applicable dans les conflits armés, dont en particulier les principes et règles du droit humanitaire. La Cour a relevé que la nature même de toute arme nucléaire et les risques graves qui lui sont associés sont des considérations supplémentaires que doivent garder à l'esprit les Etats qui croient pouvoir exercer une riposte nucléaire en légitime défense en respectant les exigences de la proportionnalité.

Le Président de la CIJ a déclaré à cette occasion que « la légitime défense - fût-elle exercée dans des conditions extrêmes mettant en cause la survie même d'un Etat - ne peut engendrer une situation dans laquelle un Etat s'exonérerait lui-même du respect des normes «intransgressibles» du droit international humanitaire ».

Le projet de loi ne doit pas être adopté dans des termes qui sous-entendraient que le recours à l’arme nucléaire dispenserait totalement d’avoir à se conformer à toute règle protectrice des personnes et de l’environnement. Lors de la ratification par la France du protocole additionnel I de 1977 aux conventions de Genève de 1949, la France a déposé des clauses d’interprétation relatives à l’usage de l’arme nucléaire. Il convient d’insérer à l’article 462-11 une réserve de respect de ces règles (voir recommandation ci-dessous).


b) Sur l’usage d’armes non prohibées par une convention internationale

Il est inacceptable que dans le cadre de l’exercice de son droit à la légitime défense, la France puisse élargir à tous types d’armes, même non prohibées par une convention internationale, l’immunité pénale dont elle entend assortir le recours en cas extrême à l’arme nucléaire. Il ne suffit pas qu’une arme ne soit pas prohibée au niveau international pour que son usage soit automatiquement licite. La France reste toujours liée par l’obligation de respecter les méthodes de combats et les règles relatives à l’usage des armes autorisées qui sont posées par le droit humanitaire dans les conventions internationales ratifiées par la France. La référence à ces armes doit être totalement supprimée du projet d’article 462-11.



Amendement n° 10 : La CFCPI recommande que le projet d’article 462-11 soit modifié comme suit : « Article 462-11. – N’est pas constitutif d’une infraction visée par le présent livre le fait, pour accomplir un acte nécessaire à l’exercice par la France de son droit de légitime défense, d’user de l’arme nucléaire ou de toute autre arme dont l’utilisation n’est pas prohibée par une convention internationale à laquelle la France est partie dans le respect des règles régissant son utilisation auxquelles la France est liée ».


II. Sur les principes généraux de droit pénal

A. Causes d’exonération de la responsabilité pénale individuelle

1) Ordre hiérarchique et ordre de la loi

L’article 33 du Statut de Rome énonce que dans certains cas, l’auteur d’un crime peut bénéficier d’une exonération de sa responsabilité pénale individuelle s’il a agi sur ordre ; mais (entre autres restrictions) cette exonération de responsabilité ne joue pas si l’ordre en question était manifestement illégal.

Un paragraphe 2 ajoute explicitement que « l’ordre de commettre un génocide ou un crime contre l’humanité est manifestement illégal ».
La France est à l’origine de son insertion dans le Statut de Rome et cette disposition est en totale cohérence avec l’ordre juridique français (la Cour de cassation a jugé dans l’affaire Papon que « l’illégalité d’un ordre portant sur la commission de crimes contre l’humanité est toujours manifeste » : Crim. 23 janvier 1997). Cette précision doit être incorporée dans la loi.




Amendement n° 11 : La CFCPI recommande l’ajout d’un alinéa à l’article 213-4, libellé comme suit :

« Aux fins du présent article, l’ordre de commettre un génocide ou un crime contre l’humanité est manifestement illégal. »





2) Excuse de légitime défense

La CFCPI approuve les modifications apportées, lors de l’examen au Sénat, au projet d’article 462-9 portant sur la légitime défense comme cause d’exonération de la responsabilité.

Elle regrette cependant que la transposition demeure imparfaite, ce qui pourrait entraîner des difficultés d’interprétation pour les tribunaux français.

Elle déplore notamment une omission importante, au regard de l’article 31-1-c du Statut de Rome, qui dispose que : « le fait qu'une personne ait participé à une opération défensive menée par des forces armées ne constitue pas en soi un motif d'exonération de la responsabilité pénale au titre du présent alinéa ».

Le rapport du sénateur Patrice Gélard, fait au nom de la commission des lois du Sénat, précise que « la transposition n’a pas repris la stipulation de l’article 31-1-c » sans en expliquer le motif. Au cours de l’examen du projet de loi au Sénat, la Garde des Sceaux a été interrogée sur cette omission mais n’a pas répondu. Aucun argument n’a été avancé pour justifier ce refus.

Pourtant, la définition incomplète de certains critères non transcrits au projet d’article 462-9 par rapport à l’article 31-1-c du Statut de Rome risque d’entraver la poursuite de certains crimes de guerre.


Amendement n° 12 : La CFCPI recommande que le projet d’article 462-9 soit modifié comme suit :
« Art. 462-9. – N'est pas pénalement responsable d'un crime ou d'un délit de guerre visé par le présent livre la personne qui a agi raisonnablement pour se défendre, pour défendre autrui ou pour sauvegarder des biens essentiels à sa survie ou à celle d'autrui ou essentiels à l'accomplissement d'une mission militaire, contre un recours imminent et illicite à la force, sauf s'il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité du danger couru.

La CFCPI recommande l’ajout d’un second alinéa au projet d’article 462-9, libellé comme suit :

« Le fait qu’une personne ait participé à une opération défensive menée par des forces armées ne constitue pas en soi un motif d’exonération de la responsabilité pénale au titre du présent alinéa ».




B. Sur l’absence de distinction fondée sur la qualité officielle des auteurs

L’article 27 du Statut de Rome indique clairement qu’il « s’applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle ». Un chef d’Etat ou de gouvernement, un membre de gouvernement ou de parlement, un représentant élu ou un agent d’Etat ne peut s’exonérer en aucun cas de sa responsabilité pénale du fait de sa qualité officielle.

Pourtant, le projet de loi ne comporte aucune disposition claire excluant toute dérogation, liée à la qualité officielle du présumé auteur.

La CFCPI déplore le rejet des amendements, déposés devant le Sénat, qui entendaient affirmer ce principe d’égalité devant la loi. Elle regrette la confusion opérée par la Garde des Sceaux, lors de l’examen du texte, qui a jugé les amendements « inutiles », considérant que la Cour pénale internationale pouvait « passer outre les protections et immunités diplomatiques ». Or, cet article ne porte pas sur la compétence de la Cour mais sur celle des juridictions internes, au regard des principes généraux du droit international pénal. Le rapporteur n’a, quant à lui, avancé aucun argument pour justifier un tel silence de la loi.

Une telle disposition serait conforme à la jurisprudence française. En effet, la Cour de cassation a jugé dans l’affaire Khadafi qu’il pouvait y avoir des exceptions au principe coutumier selon lequel les chefs d’État en exercice ne peuvent faire l’objet de poursuites devant les juridictions pénales d’un État étranger . Elle n’a pas précisé quelles étaient ces exceptions mais selon la doctrine il semble admis que ces exceptions concernent les hypothèses « des crimes contre la paix, des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et des crimes de génocide conformément aux sources qui excluent l’immunité du chef d’Etat étranger pour ces quatre catégories de crimes » .


Amendement n° 13 : La CFCPI recommande que le principe énoncé à l’article 27 du Statut de Rome soit inséré à la fois dans le titre consacré aux crimes contre l’humanité et dans le livre consacré aux crimes de guerre :

Au livre II, sous-titre I (Des crimes contre l’humanité), chapitre III (dispositions communes) du Code pénal, ajouter un article 213-4-2 qui disposerait :

« Article 213-4-2.- La qualité officielle de chef d’Etat ou de gouvernement, de membre d’un gouvernement ou d’un parlement, de représentant élu ou d’agent d’un Etat, n’exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent titre, pas plus qu’elle ne constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine ».

Au projet de livre IV bis, chapitre II (dispositions particulières) du Code pénal, ajouter un article 462-12 qui disposerait :

« Article 462-12.- La qualité officielle de chef d’Etat ou de gouvernement, de membre d’un gouvernement ou d’un parlement, de représentant élu ou d’agent d’un Etat, n’exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent Livre, pas plus qu’elle ne constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine ».





C. Sur l’imprescriptibilité

Le projet de loi instaure un régime de prescription distinct entre les différents crimes relevant de la compétence de la Cour. Ainsi le texte prévoit une prescription de l’action publique et de la peine de 30 ans pour les crimes, et de 20 ans pour les délits de guerre. Le Statut de Rome (article 29) pose pourtant le principe d’imprescriptibilité des crimes de guerre.

Il convient de rappeler que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 22 janvier 1999, a jugé qu’« aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, n'interdit l'imprescriptibilité des crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale » (considérant 20). Aux termes de cette décision, rien n’empêche donc la France de reconnaître le principe d'imprescriptibilité pour les crimes de guerre.
Si la France ne reprenait pas la norme d’imprescriptibilité, elle perdrait, à l’expiration du délai de prescription, la possibilité de juger les criminels de guerre présents sur son territoire et ses propres ressortissants. Il en résulterait de surcroît un manquement de la France au principe de complémentarité, pour lequel elle a pourtant milité lors de la rédaction du Statut, et selon lequel les juridictions étatiques exercent les mêmes compétences que la Cour pénale internationale.
Une adaptation du droit français non conforme à la règle énoncée dans le Statut aboutirait en outre à un affaiblissement de la répression des crimes de guerre menaçant l’harmonisation de la répression de ces crimes au niveau international.



Amendement n° 14 : La CFCPI recommande de remplacer les dispositions de l’alinéa 1 du projet d’article 462-10 par le texte suivant :

« Article 462-10 – L'action publique à l’égard des crimes de guerre définis au présent livre ainsi que les peines prononcées sont imprescriptibles » (suite de l’article sans changement).






III. Sur la compétence territoriale du juge français (article 7 bis du projet de loi)

Le Sénat a inséré dans le code de procédure pénale un article 689-11. Celui-ci élargit la compétence territoriale des tribunaux français afin de permettre la poursuite et le jugement des auteurs de génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis à l’étranger.

La CFCPI se réjouit qu’en introduisant cette disposition, le législateur reconnaisse la nécessité et le devoir pour notre pays de juger les auteurs des crimes les plus graves. Mais elle déplore que ce mécanisme de compétence extraterritoriale, fondamental dans la lutte contre l’impunité, ait été vidé de sa substance par la mise en place de quatre conditions cumulatives excessivement restrictives. Ces quatre conditions constituent autant de verrous qui rendront pratiquement impossible la mise en œuvre de cette disposition :

1. l’exigence de résidence habituelle sur le territoire français de l’auteur des faits ;
2. la double incrimination ;
3. le monopole des poursuites par le parquet ;
4. l’inversion du principe de complémentarité.

Aucun autre système juridique en Europe n’accumule autant d’obstacles à la poursuite des criminels internationaux. Seule la présence du suspect sur le territoire national est le plus souvent requise afin d’éviter les procédures in abstentia. La France se singulariserait de manière regrettable parmi les Etats européens en ne modifiant pas le texte adopté par le Sénat.

La CFCPI demande la suppression de ces conditions afin que les crimes du Statut de Rome soient soumis au même régime procédural que les autres crimes pour lesquels est déjà admise une compétence extraterritoriale des juridictions françaises, c’est-à-dire une condition de simple présence de l’auteur des faits sur le territoire français (article 689-1 du Code de procédure pénale).



Verrou 1 : La résidence habituelle sur le territoire français de l’auteur des faits
• La condition imposée est incohérente avec le droit existant qui prévoit la poursuite des auteurs de crimes internationaux dès lors qu’ils « se trouvent » en France.
• Elle manifeste une bienveillance du législateur qui s’accroît avec la gravité des crimes poursuivis.
• Elle risque d’être pratiquement impossible à réaliser.


Tel qu’adopté par le Sénat, le nouvel article 689-11 du Code de procédure pénale ne permet pas de poursuivre l’auteur des faits qui « se trouve » sur le territoire français, comme dans les articles 689-1 à 689-10, mais seulement celui qui « réside habituellement » sur ce territoire.



1) Critère retenu par la législation française existante : la simple présence sur le territoire

La condition de « résidence habituelle » est contraire à la position constante du législateur français concernant les crimes internationaux.

Les conventions internationales dont l'objet est de permettre la répression des crimes les plus graves retiennent la formule selon laquelle la personne suspectée doit « se trouver sur le territoire » de l'Etat partie pour activer la compétence extra-territoriale des juridictions de cet Etat.

L'article 689-1 du code de procédure pénale reprend ainsi cette formule qui s'applique à tous les crimes énumérés aux articles 689-2 à 689-10, notamment les crimes de torture ou actes terroristes. Ainsi, plus d’une vingtaine de procédures fondées sur ce principe sont en cours devant les juridictions françaises pour des faits relevant de crimes de torture .

Ce critère de simple présence de l’auteur des faits sur le territoire français est également prévu pour les auteurs de crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis pendant le conflit de l’ex-Yougoslavie ou pendant le génocide rwandais.

Enfin ce même critère est également prévu dans la Convention internationale sur les disparitions forcées dont le législateur vient de voter la ratification (loi du 17 juillet 2008) : en application de cette convention les tribunaux français seront compétents pour connaître des cas de disparitions forcées commis à l’étranger « lorsque le présumé coupable, quelle que soit sa nationalité ou celle de ses victimes ainsi que le lieu de commission de l’infraction, se trouve sur un territoire sous sa juridiction ».



2) La condition de résidence habituelle manifeste une bienveillance du législateur qui s’accroît avec la gravité des crimes poursuivis

Les crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre sont, selon le préambule du Statut de Rome, les « crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale ». Ainsi situés au sommet de la hiérarchie des infractions internationales énumérées aux articles 689-2 à 689-11 du Code de procédure pénale, rien ne peut justifier que le législateur manifeste à leurs auteurs une bienveillance accrue en mettant des obstacles supplémentaires à leurs poursuites.

Alors qu’un individu suspecté du crime de torture peut être arrêté et poursuivi à l’occasion de son passage en France, celui suspecté de génocide ou de crime contre l’humanité pourra circuler librement tant qu’il n’aura pas l’idée de s’installer durablement. Appliquer la condition de « résidence habituelle » revient ainsi à mieux traiter celui qui a déclenché la vague de tortures et d’assassinats constitutifs de crimes contre l'humanité, que l'auteur de tortures.

Par ailleurs, alors que les juridictions françaises peuvent se reconnaître compétentes dans l’hypothèse du génocide rwandais, il n’en irait pas de même pour des auteurs de génocides commis en d’autres lieux et en d’autres temps. Alors que les incriminations légales sont les mêmes, l’intervention juridictionnelle serait subordonnée, dans un cas, à la simple présence, et, dans un autre, à la résidence habituelle du suspect. Cette différence de traitement ne s’explique pas.


3) Une condition pratiquement impossible à réaliser

En l’état du texte voté par le Sénat, un individu suspecté d’avoir commis un génocide, des crimes contre l’humanité ou crimes de guerre pourra aller et venir librement en France sans être inquiété tant qu’il ne s’installera pas durablement sur le territoire français mais se contentera de séjours plus ou moins longs.

La CFCPI craint donc que la condition de « résidence habituelle » ne soit jamais remplie si elle est interprétée, comme dans d’autres domaines du droit, comme la fixation de manière stable, effective et permanente du centre des attaches familiales et intérêts matériels en France .



Verrou 2 : La condition de double incrimination
Par définition les crimes internationaux constituent la violation de valeurs universelles reconnues par la communauté internationale. Instaurer la condition de double incrimination revient à remettre en cause cette universalité.

Le Sénat a introduit une condition de double incrimination subordonnant les poursuites en France à la condition que les faits soient punissables à la fois par le droit français et par la législation de l’Etat où ils ont été commis.

Cette condition revient à dire que la France reconnaîtra l’impunité, par exemple, aux auteurs de génocide si le génocide n’est pas pénalement incriminé dans leur propre pays.

La condition de double incrimination n’est prévue dans notre droit que pour les délits et non pour les crimes (article 113-6 du Code pénal) ainsi que dans le cadre très spécifique de la procédure d’extradition, où elle tend d’ailleurs à s’affaiblir progressivement. Elle a notamment été supprimée dans le cadre du mandat d’arrêt européen pour les infractions les plus graves (terrorisme, trafic d’armes et traite des êtres humains par exemple).

Par ailleurs, cette condition n’est exigée dans aucune des dispositions relatives à la compétence extraterritoriale des tribunaux français. La Cour de cassation l’a confirmé notamment pour la poursuite des tortionnaires se trouvant en France (article 689-2 du Code de procédure pénale), en jugeant que les poursuites peuvent être exercées en France « i[quels que puissent être, [dans l’Etat où les crimes ont été commis], les incriminations existantes en matière de torture, leur délai de prescription ou leur amnistie]i » .

Le Statut de la Cour pénale internationale ne prévoit pas non plus cette exigence.

Cette condition de double incrimination traduirait par ailleurs un retour en arrière au regard de la compétence des juridictions françaises concernant les crimes commis en ex-Yougoslavie et au Rwanda. En effet, les lois de coopération avec les Tribunaux pénaux internationaux ne prévoient pas cette restriction.

De plus, le principe de cette double incrimination aurait pour conséquence de soumettre la compétence des juridictions françaises à un ordre législatif étranger dans le cas d’infractions qui relèvent d’une convention internationale ratifiée par la France. Or cette convention implique la compétence de cette dernière pour poursuivre les plus graves crimes du droit international.

La CFCPI recommande de supprimer cette condition qui restreint la compétence des juridictions françaises au-delà des conditions imposées par le Statut de Rome.



Verrou 3 : Le monopole des poursuites confié au ministère public
Une disposition en contradiction avec la tradition pénale française confirmée par la réforme procédurale de mars 2007
Un bouleversement des équilibres procéduraux portant atteinte aux droits des victimes
Une inégalité des citoyens devant la loi



Le projet de loi adopté par le Sénat retient en un nouvel article 689-11, alinéa 2, le principe du monopole des poursuites confié au ministère public, supprimant ainsi la possibilité à toute partie civile, personne physique ou morale, de mettre en mouvement l’action publique pour des crimes contre l’humanité, crimes de guerre et génocide.

1) Une disposition en contradiction avec une tradition pénale française

Le monopole des poursuites confié au ministère public s’inscrit dans une rupture radicale avec la tradition pénale française, qui, depuis l’arrêt Laurent-Atthalin, en 1906, permet à toute victime d’un crime ou d’un délit de faire engager des poursuites pénales alors même que le ministère public s’y refuserait. En France, en ce début de XXI ème siècle, les riches débats et travaux légitimement générés par l’abus des constitutions de partie civile n’ont fait que confirmer la volonté de préserver ce droit, tout en l’aménageant pour en prévenir le mauvais usage.

C’est ainsi que le législateur, avec la loi du 5 mars 2007, a maintenu le principe de la mise en mouvement de l’action publique par la partie civile devant un juge d’instruction, en se contentant d’instituer un délai de réflexion, la personne désirant porter plainte avec constitution de partie civile devant attendre durant trois mois l’avis du parquet sur l’opportunité d’engager des poursuites, avant de pouvoir se constituer devant le magistrat instructeur, selon les anciennes modalités procédurales.

Il convient de surcroit de relever que ce filtre n’a été établi que pour les délits , donc pour les infractions les moins graves. Il serait donc incohérent que la loi portant adaptation du Statut de Rome en droit français remette en cause la possibilité pour les victimes des crimes les plus graves (ou les associations de défense des droits de l’homme) de déclencher directement l’action publique, en confiant le monopole des poursuites au ministère public.


2) Une atteinte grave aux droits des victimes

Le monopole des poursuites confié au ministère public constitue « une atteinte grave aux droits des victimes à un recours effectif », comme l’affirmait la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) dans son avis du 15 mai 2003 sur l’avant-projet de loi portant adaptation de la législation française au Statut de la Cour pénale internationale. Et la CNCDH d’ajouter qu’une telle disposition serait d’autant plus inacceptable que « la France s’est activement engagée à la reconnaissance des droits des victimes tout au long des négociations pour l’établissement de la CPI ».

A l’appui de cette affirmation, il convient de rappeler que les seuls procès pénaux d’importance engagés à l’encontre d’auteurs présumés de crimes internationaux l’ont été, en France, sur plainte avec constitution de partie civile initiale. Force est de constater que les parquets français n’ont pas joué, en la matière, leur rôle de défenseurs de l’intérêt général, notamment en refusant de mettre en mouvement l’action publique pour des crimes dont la gravité touche au coeur même de l’humanité.


3) Une violation du principe d’égalité des citoyens devant la loi

Le monopole des poursuites confié au parquet pour les crimes les plus graves commis hors du territoire de la République pose la question de la constitutionnalité d’un tel dispositif.

En effet, l’égalité des citoyens devant la loi est un principe constitutionnel affirmé par la Déclaration des Droits de l’Homme et des citoyens de 1789 et par l’article 1 de la Constitution de 1958. Si notre système procédural connaît quelques limitations à la possibilité de plainte avec constitution de partie civile initiale, ces exceptions restent limitées et justifiables au regard de l’exigence jurisprudentielle des « raisons d’intérêt général », la différence de traitement qui en résulte étant en outre en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit et se fondant sur des « critères objectifs et rationnels ». Par exemple, si la victime d’un vol de voiture peut mettre en mouvement l’action publique par une plainte avec constitution de partie civile, tout comme la victime d’actes de torture commis à l’étranger, une telle prérogative ne pourra plus bénéficier aux victimes de crimes de guerre, crimes contre l’humanité ou génocide commis à l’étranger.

Quelles pourraient être les « raisons d’intérêt général », telles qu’admises par la jurisprudence constitutionnelle, justifiant que les victimes de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou de génocide n’aient pas le même accès au juge pénal que les victimes d’actes de torture?


Verrou 4 : Inversion du principe de complémentarité

Le renversement du principe de complémentarité retire aux juridictions nationales l’obligation que le Statut de Rome leur a confiée de juger elles-mêmes, en priorité, les crimes internationaux.

Le texte adopté par le Sénat prévoit que les juridictions françaises ne pourront pas être saisies sans qu’ait été préalablement demandé à la Cour pénale internationale de décliner expressément sa compétence, donnant ainsi priorité à cette Cour pour exercer des poursuites contre les responsables de crimes contre l'humanité, génocide et crimes de guerre.

Or dans le système de justice pénale internationale issu du Statut de Rome, le juge de droit commun des crimes internationaux doit être le juge national .

Cette disposition est contraire aux articles 17 et 18 du Statut qui donnent aux juridictions des Etats parties la priorité et la responsabilité de poursuivre les auteurs des crimes internationaux, la Cour pénale internationale n’ayant compétence qu’en cas de défaillance des tribunaux nationaux .

Pour qu'une affaire soit jugée recevable devant la CPI, il faut que la Cour détermine que l'Etat manque de volonté ou est dans l'incapacité de mener véritablement à bien l'enquête ou les poursuites. Ce n'est donc que dans cette hypothèse et suite à la saisine de la Cour pénale internationale par un Etat partie, par le Conseil de sécurité ou par le Procureur lui-même (propio motu) que la Cour est compétente.

Solliciter de la Cour pénale internationale qu’elle « décline expressément sa compétence » pour poursuivre la personne suspectée de crimes internationaux se trouvant sur le territoire français va donc à l’encontre du Statut de Rome.



Amendement n°15 : La CFCPI recommande de remplacer les dispositions du projet d’article 689-11 du Code de procédure pénale, comme suit :

« Pour l’application du Statut de la Cour pénale internationale, signé à Rome le 17 juillet 1998, peut être poursuivie et jugée dans les conditions prévues à l’article 689-1 toute personne coupable de l’une des infractions suivantes :
1° Crimes contre l’humanité et crimes de génocide définis aux articles 211-1, 211-2, 212-1 à 212-4 du Code pénal ;
2° Crimes de guerre définis aux articles 461-1 à 461-31 du même Code ;
3° Infractions graves aux Conventions de Genève du 12 août 1949 et au Protocole additionnel I du 8 juin 1977».



Jeudi 19 Février 2009
Massimo BUCALOSSI

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