Impact du projet de réforme des retraites sur les avocates

Mercredi 4 Mars 2020

La FNUJA a multiplié les alertes sur les risques de la réforme pour les avocat.e.s. Ces risques sont encore plus significatifs pour les avocates pour des raisons liées à l’exercice de la profession, au régime de retraite et au projet de Loi lui-même.

Rappel sur le régime actuel
  Rappels généraux : régime autonome, autofinancé avec une solidarité professionnelle renforcée très favorable aux plus bas revenus (femmes, secteur assisté, etc.) Retraite de base par annuité de 1.450 euros quelles que soient la rémunération et la carrière, majorée par un régime complémentaire par points, assis sur la rémunération Régime de base par annuité à forte solidarité qui compense les écarts de rémunération, les carrières et permet de limiter les impacts des suspensions de carrières : congés maternité en particulier. La suppression de la règle de réduction des prestations en cas de départ de la profession avant 15 ans a renforcé l’égalité via le régime de base (les femmes quittant plus massivement la profession que les hommes)  
Changements induits par la réforme
  Suppression du régime de base égalitaire par annuité qui permet de compenser partiellement, par une retraite de base identique pour tous les avocats quels que soient leurs revenus, les aléas de carrières et les inégalités, notamment entre femmes et hommes (mais également bas et hauts revenus) Augmentation significative des cotisations avec un taux à 28% sur un super bonus, même abattu, pour les bas revenus (tranche inférieure à 40.000 euros). Les femmes sont les plus touchées car majoritaires dans cette tranche de revenus Retraite minimum de 1000 euros uniquement si carrière complète au SMIC : or les avocats ne sont pas éligibles au SMIC et beaucoup touchent moins qu’un SMIC en particulier chez les femmes outre que le critère de carrière complète fait perdre aux avocats le bénéfice de la retraite de base égalitaire, indépendante des écarts de revenus et de carrière. La pension de réversion ne sera plus accessible après un divorce  
Concrètement, quelles seraient les conséquences néfastes de ce nouveau régime ?
  Les dispositifs relatifs à la maternité (5% congés mat + en fonction du nombre d’enfants, etc.) mis en avant par le gouvernement procèdent d’une vision réductrice de la « femme » : limitée à sa maternité ! Or les sources d’inégalités entre les femmes et les risques liés à la réforme pour les femmes en général, et les avocates en particulier, sont bien plus larges et divers.   Structure de notre profession encore malheureusement très différenciée selon qu’on est un homme ou une femme : Ecarts de salaires beaucoup plus importants que chez les salariés > ce sont les femmes qui vont être les plus touchées par la hausse des cotisations et dont les cabinets sont en péril   Avocates qui interviennent le plus au titre de l’AJ > cela va être de moins en moins possible, parce que devront se concentrer sur des dossiers leur permettant de payer leurs charges   Inégalités face à la parentalité : beaucoup de couple d’avocats, congés paternité très peu pris : femmes qui interrompent leur carrière plus que les hommes >> interruptions aujourd’hui protégées dans notre régime autonome, ce ne sera plus le cas dans le régime universel : c’est un vrai retour en arrière ! D’autant que les avocat.e.s commencent leur carrière très tardivement (29 ans en moyenne) : donc femmes avocates qui suspendent leur carrière pour congés maternité seront très fortement affectées et devront travailler très tard pour avoir une « carrière complète »
Ce problème est accru dans une profession qui est par nature très chronophage et stressante : les avocates n’ont parfois pas d’autres choix que de mettre temporairement leur carrière entre parenthèses.
  Avocates interviennent principalement dans les matières pour des particuliers (droit de la famille, droit des étrangers, etc.) : or ce sont les matières qui seront le plus impactées par la réforme : hausse des honoraires qui ne pourra pas être supportée par les justiciables, contrairement aux matières où les grosses entreprises pourront mieux gérer une hausse au moins partielle du coût de l’avocat.   Ce projet de réforme intervient en outre alors que l’égalité femmes-hommes progresse largement, mais depuis peu, au sein de la profession. En effet, grâce à l’engagement fort et concret de nos syndicats et instances représentatives, des progrès commencent à se faire ressentir : réduction de l’écart de rémunération, meilleure répartition associés / collaborateurs et selon les spécialités, allongement du congé paternité (qui est de 4 semaines au barreau de Paris ! ). Ces avancées risquent d’être mises à mal par cette réforme. Nous risquons d’assister à un vrai retour en arrière.   La réforme aurait en outre pour conséquence d’accroître les départs de la profession des femmes, qui sont déjà plus importants que ceux des hommes  
De manière plus générale, le projet de réforme crée de nouveaux risques pour les femmes : dépendance financière très risquée en cas de violences conjugales, bonus « enfant » qui vont être donnés aux pères puisqu’ils ont les plus gros salaires avec le risque que la mère n’en bénéficie jamais en cas de divorce, etc.
  La réforme aurait dû prendre en compte les inégalités de rémunération et de carrière entre les femmes et les hommes. Le projet de réforme pénalise encore plus les femmes qui ont des rémunérations inférieures et des carrières hachées, bin au-delà des seuls congés maternité. Absence de réflexion sur la situation d’emploi et de carrière des femmes.  
Or, l’égalité réelle de rémunération entre les femmes et les hommes serait bénéfique pour le système de retraite (plus de cotisations), et même le budget de l’Etat (plus d’impôts)
 


Catheline Modat