Le Conseil constitutionnel abroge les modalités de désignation des avocats intervenant en garde à vue en matière de terrorisme

Dimanche 19 Février 2012



QPC Garde à vue en matière de terrorisme :
Décision n° 2011-223 QPC du 17 février 2012
Ordre des avocats au Barreau de Bastia

Commentaire du Conseil Constitutionnel




Par décision en date du 23 décembre 2011 (Conseil d’État, 23 décembre 2011, n° 354200), enregistrée le même jour au Conseil constitutionnel, le Conseil d’État a renvoyé au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par l’ordre des avocats au barreau de Bastia et portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 706-88-2 du code de procédure pénale (CPP) dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue.

Par sa décision n° 2011-223 QPC du 17 février 2012, le Conseil constitutionnel a déclaré l’article 706-88-2 du CPP contraire à la Constitution.



I. – Les dispositions contestées

A. – Historique


Dans sa décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, le Conseil constitutionnel avait déclaré contraires à la Constitution les articles 62, 63, 63-1 et 77 du CPP et les alinéas 1er à 6 de son article 63-4, tout en reportant cette abrogation au 1er juillet 2011.

Le Conseil constitutionnel avait toutefois exclu du champ de sa censure les régimes dérogatoires de garde à vue, qui sont prévus pour les faits relevant de l’une des infractions mentionnées à l’article 706-73 du CPP, aux motifs que les articles contestés avaient déjà été déclarés conformes par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 2 mars 2004 et qu’il n’y avait pas eu de changement de circonstances.

Deux arrêts rendus par la Cour de cassation le 19 octobre 2010 ont toutefois imposé l’intervention du législateur en la matière.

La chambre criminelle de la Cour de cassation a en effet jugé, sur le fondement de l’article 6§3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH), que « sauf exceptions justifiées par des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l’espèce, et non à la seule nature du crime ou délit reproché, toute personne soupçonnée d’avoir commis une infraction doit, dès le début de la garde à vue, être informée de son droit de se taire et bénéficier, sauf renonciation non équivoque, de l’assistance d’un avocat ».

Le législateur en a tiré les conséquences dans l’élaboration de la réforme de la garde à vue.

Dans son rapport devant l’Assemblée Nationale, Monsieur Philippe Gosselin a ainsi relevé que « l’article 12, dans le texte initial du projet de loi, complétait l’article 706-88 du code de procédure pénale, qui prévoit les règles particulières en matière de garde à vue applicables aux infractions relevant de la criminalité organisée prévues par l’article 706-73 du même code, par un alinéa disposant que "Les dispositions des articles 63-4-1 et 63-4-2 ne sont pas applicables aux personnes gardées à vue pour l’une des infractions entrant dans le champ d’application de l’article 706-73". Conforme à la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010, qui n’avait pas remis en cause la conformité à la Constitution de ces régimes dérogatoires, l’article 12 ne pouvait rester en l’état en raison des décisions rendues le 19 octobre 2010 – c’est-à-dire six jours après le dépôt du projet de loi sur le bureau de l’Assemblée nationale – par la Cour de cassation »

Ces dispositions sont également distinctes, même si elles s’en rapprochent, de celles de l’article 63-4-3 du CPP qui permettent à l’officier de police judiciaire, au cours de la garde à vue, d’interrompre celle-ci « en cas de difficulté » et de saisir le procureur de la République aux fins de saisine, s’il y a lieu, du bâtonnier pour qu’il désigne un autre avocat. Cet article (que le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution le 18 novembre 2011) intervient après que la personne gardée à vue a choisi son avocat, lequel est intervenu dans des conditions qui, faisant « difficulté », ont conduit l’officier de police judiciaire à interrompre l’audition et à demander la désignation d’un autre avocat.


B. – La loi du 14 avril 2011

La loi du 14 avril 2011 relative à la garde à vue, laquelle a réformé l’ensemble de cette procédure, a tiré les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel et de la jurisprudence rendue tant par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) que par la Cour de cassation, sur le fondement de la CESDH.

En particulier, l’article préliminaire du CPP a été complété par un alinéa dont il résulte que : « En matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le seul fondement de déclarations qu’elle a faites sans avoir pu s’entretenir avec un avocat et être assistée par lui ». De même, l’article 63-1 dispose désormais que la personne placée en garde à vue est immédiatement informée de son droit « lors des auditions, après avoir décliné son identité, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire », tandis que l’article 63-4-2 prévoit que la personne gardée à vue peut demander que l’avocat assiste à ses auditions et confrontations et organise les conditions de cette assistance.

Le chapitre II de la loi contient notamment les modifications apportées au régime des gardes à vue en matière de criminalité organisée et de terrorisme ou de trafic de stupéfiants. Plus précisément, c’est l’article 16 de la loi du 14 avril 2011 qui modifie l’article 706-88 (prolongation de la garde à vue jusqu’à 96 heures et possibilité de différer l’intervention de l’avocat), en sépare l’article 706-88-1 (prolongation de la garde à vue jusqu’à 144 heures, soit six jours, en matière de terrorisme) et qui crée le nouvel article 706-88-2 du CPP.

Ce dernier article introduit une disposition originale en prévoyant que « si la personne est gardée à vue pour une infraction mentionnée au 11° de l’article 706-73 » – qui vise les « crimes et délits constituant des actes de terrorisme prévus par les articles 421-1 à 421-6 du code pénal » –, le juge des libertés et de la détention ou bien le juge d’instruction (lorsque la garde à vue intervient au cours d’une instruction) peut suspendre la liberté de choix de l’avocat par la personne placée en garde à vue.
Dans cette hypothèse, le juge compétent en vertu du texte dispose de la faculté de « décider que la personne sera assistée par un avocat désigné par le bâtonnier sur une liste d’avocats habilités, établie par le bureau du Conseil national des barreaux sur propositions des conseils de l’ordre de chaque barreau ».

Cette disposition, introduite sur proposition de M. Jean-Luc Warsmann, est inspirée de la législation espagnole. Le rapporteur devant l’Assemblée Nationale, commentant cette disposition, a expliqué que « dans les affaires de terrorisme, la présence de l’avocat en garde à vue, quand bien même elle serait différée en application des dispositions présentées précédemment, créera deux risques particuliers qu’il est nécessaire de prendre en compte pour maintenir un équilibre entre, d’une part, les droits de la défense, et, d’autre part, l’efficacité de l’enquête et la prévention des actes terroristes. Le premier risque résidera dans la possibilité que la personne gardée à vue soit assistée par un avocat défendant la même cause idéologique qu’elle ; le risque de fuites serait alors considérable. Le second risque sera, compte tenu de la personnalité, de la dangerosité et des moyens dont disposent certains auteurs d’actes terroristes, que des pressions soient exercées par la personne gardée à vue sur les avocats désignés pour qu’ils préviennent leurs complices ou fassent disparaître des preuves. C’est pour répondre à ce double risque que l’article adopté par la Commission crée une possibilité de restriction à la liberté pour la personne gardée à vue de choisir son avocat. Une règle similaire existe en Espagne. Les collèges d’avocats y ont organisé un système de permanences et de désignations par « tour d’office » qui est utilisé aussi bien pour les affaires de droit commun dans lesquelles la personne mise en cause fait la demande d’être assistée lors de sa garde à vue que dans les affaires de terrorisme. La désignation d’un avocat d’office relève de la compétence exclusive du barreau. Pour être désigné d’office dans une affaire, un avocat doit obligatoirement être inscrit sur la liste correspondante ; il ne peut être inscrit que sur une seule liste. Dans les affaires terroristes, le juge saisi de l’affaire peut décider la mise au secret, qui emporte deux conséquences. D’une part, le gardé à vue en matière de terrorisme est privé de son droit à faire avertir de son arrestation une personne de son choix. D’autre part, s’il n’est pas privé de son droit constitutionnel à l’assistance d’un avocat, le gardé à vue perd sa liberté de choix : il est obligatoirement assisté par un avocat commis d’office désigné par l’Ordre des avocats (…) »

De même, au Sénat, le rapporteur a précisé que ces dispositions « se justifient par les enjeux soulevés par ce type de dossiers, et l’inquiétude, évoquée à plusieurs reprises devant le groupe de travail de la commission des lois consacré à l’équilibre de la procédure pénale, que certains avocats ne soient tentés dans cette matière de s’affranchir des règles strictes de la déontologie »

L’alinéa 2 de l’article 706-88-2 du CPP précise en outre que « les modalités d’application du premier alinéa sont définies par décret en Conseil d’État ». Il s’agit en l’occurrence du décret n° 2011-1520 du 14 novembre 2011 relatif à la désignation des avocats pour intervenir au cours de la garde à vue en matière de terrorisme, lequel a fait l’objet d’un recours en annulation devant le Conseil d’État, à l’occasion duquel a été posée la QPC.

Ces dispositions ne se confondent pas avec le régime de la commission d’office qui permet, au cours de la garde à vue ou lors de la phase judiciaire de la procédure pénale, de faire désigner d’office un avocat à une personne qui en fait la demande mais qui n’a pas fait le choix d’un avocat. La commission d’office conduit à la désignation d’un avocat par le bâtonnier selon la disponibilité ou le tableau de permanence des avocats ; toutefois, elle ne restreint pas la liberté de choix de l’avocat mais supplée à l’absence de choix par la personne intéressée.


II – Examen de la constitutionnalité de la disposition contestée

Le requérant soutenait qu’en permettant que le juge des libertés et de la détention ou le juge d’instruction puisse faire désigner d’office un avocat afin d’assister une personne placée en garde à vue pour une infraction mentionnée au 11° de l’article 706-73 du code de procédure pénale et en s’abstenant de définir les critères en fonction desquels il peut être dérogé à la liberté de choisir son avocat, ces dispositions portent atteinte aux droits de la défense ainsi qu’au principe d’égalité devant la justice.
C’est sur le fondement de l’incompétence négative, dont découle une atteinte aux droits de la défense, que le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions contestées.


A. – Normes constitutionnelles applicables


Dans sa décision du 30 juillet 2010, le Conseil constitutionnel a fixé le cadre constitutionnel applicable à la garde à vue.

Reprenant les considérants « de principe » de cette décision, le Conseil a, dans la présente décision, précisé d’abord, que « le législateur tient de l’article 34 de la Constitution l’obligation de fixer lui-même le champ d’application de la loi pénale ; que, s’agissant de la procédure pénale, cette exigence s’impose notamment pour éviter une rigueur non nécessaire lors de la recherche des auteurs d’infractions » (cons. 4) et, ensuite, « qu’il incombe au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public, notamment à la sécurité des personnes et des biens, et la recherche des auteurs d’infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d’autre part, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties ; qu’au nombre de celles-ci figure le respect des droits de la défense, qui découle de l’article 16 de la Déclaration de 1789 » (cons. 5).

Par ailleurs, la jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière de droit à bénéficier de l’assistance d’un avocat est abondante.

En janvier 1989, le Conseil a censuré une disposition permettant au président d’une juridiction d’écarter de la salle d’audience un avocat dans des conditions portant atteinte aux droits de la défense. Le Conseil a, par la suite, reconnu à trois reprises que le principe du libre entretien avec un avocat d’une personne gardée à vue constitue « un droit de la défense qui s’exerce durant la phase d’enquête de la procédure pénale ». Le Conseil a censuré, en 1993, des dispositions qui méconnaissaient ce droit11. En outre, il n’est pas rare que le Conseil relève, parmi les garanties légales assurant le respect des droits de la défense, l’assistance de l’avocat. Il en est allé ainsi en matière de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.
Enfin, la décision du 30 juillet 2010 sur la garde à vue a conduit à imposer le droit à l’assistance effective d’un avocat pour toute personne interrogée en garde à vue. Le droit à l’assistance d’un avocat n’est toutefois pas absolu et s’apprécie en fonction de l’utilité des droits de la défense dans chaque étape de la procédure. Le Conseil a ainsi jugé que l’assistance d’un avocat n’est pas requise lors du défèrement devant le procureur de la République à l’issue de la garde à vue.

En outre, le Conseil a reconnu à deux reprises la liberté d’une partie à la procédure pénale de choisir d’être assistée par un avocat ou de se défendre seule.

La décision n° 2011-191/194/195/196/197 QPC du 18 novembre 2011 sur les nouvelles dispositions relatives à la garde à vue a fixé le cadre constitutionnel de l’examen des limites apportées aux conditions dans lesquelles s’exerce l’assistance de la personne gardée à vue par un avocat :

– Le Conseil a, en premier lieu, rappelé la liberté de choix de l’avocat, mais ne lui a pas conféré un caractère constitutionnel :

« 26. Considérant, en premier lieu, que le troisième alinéa de l’article 63-3-1 prévoit que, lorsque l’avocat de la personne gardée à vue est désigné par la personne prévenue en application de l’article 63-2, la personne gardée à vue doit confirmer cette désignation ; que cette disposition, qui tend à garantir la liberté de la personne gardée à vue de choisir son avocat, ne méconnaît aucun droit ou liberté que la Constitution garantit ; (…) »

– Le Conseil a, en deuxième lieu, opéré une distinction entre les droits de la défense, qui doivent être respectés en garde à vue, et les exigences du procès équitable, qui n’y trouvent pas leur place :

« 28. Considérant, d’une part, qu’en vertu de l’article 14 du code de procédure pénale, la police judiciaire est chargée « de constater les infractions à la loi pénale, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs » ; que la garde à vue est une mesure de contrainte nécessaire à certaines opérations de police judiciaire ; que, comme le Conseil constitutionnel l’a jugé dans sa décision du 30 juillet 2010 susvisée, les évolutions de la procédure pénale qui ont renforcé l’importance de la phase d’enquête policière dans la constitution des éléments sur le fondement desquels une personne mise en cause est jugée doivent être accompagnées des garanties appropriées encadrant le recours à la garde à vue ainsi que son déroulement et assurant la protection des droits de la défense ; que les dispositions contestées n’ont pas pour objet de permettre la discussion de la légalité des actes d’enquête ou du bien-fondé des éléments de preuve rassemblés par les enquêteurs, qui n’ont pas donné lieu à une décision de poursuite de l’autorité judiciaire et qui ont vocation, le cas échéant, à être discutés devant les juridictions d’instruction ou de jugement ; qu’elles n’ont pas davantage pour objet de permettre la discussion du bien-fondé de la mesure de garde à vue enfermée par la loi dans un délai de vingt-quatre heures renouvelable une fois ; que, par suite, les griefs tirés de ce que les dispositions contestées relatives à la garde à vue n’assureraient pas l’équilibre des droits des parties et le caractère contradictoire de cette phase de la procédure pénale sont inopérants ; »

– Le Conseil a, en troisième lieu, jugé que ne méconnaissaient pas le respect des droits de la défense des dispositions apportant certaines restrictions à l’intervention de l’avocat en garde à vue :

« 29. Considérant, d’autre part, que le 2° de l’article 63-1 dispose que la personne gardée à vue est immédiatement informée de la nature et de la date présumée de l’infraction qu’elle est soupçonnée d’avoir commise ou tenté de commettre ; que, compte tenu des délais dans lesquels la garde à vue est encadrée, les dispositions de l’article 63-4-1 qui limitent l’accès de l’avocat aux seules pièces relatives à la procédure de garde à vue et aux auditions antérieures de la personne gardée à vue assurent, entre le respect des droits de la défense et l’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions, une conciliation qui n’est pas déséquilibrée ; que, par suite, l’article 63-4-1 n’est contraire à aucun droit ou liberté que la Constitution garantit ;

« 30. Considérant, en troisième lieu, qu’en prévoyant que la personne gardée à vue peut s’entretenir avec son avocat pendant trente minutes, qu’elle peut demander que l’avocat assiste à ses auditions et confrontations et que la première audition de la personne gardée à vue ne peut avoir lieu moins de deux heures après que l’avocat a été avisé, le deuxième alinéa de l’article 63-4 et l’article 63-4-2 instituent des garanties de nature à assurer que la personne gardée à vue bénéficie de l’assistance effective d’un avocat ; qu’il appartient en tout état de cause à l’autorité judiciaire de veiller au respect du principe de loyauté dans l’administration de la preuve et d’apprécier la valeur probante des déclarations faites, le cas échéant, par une personne gardée à vue hors la présence de son avocat ; que, par suite, en n’imposant pas un délai avant chacune des éventuelles auditions suivantes de la personne gardée à vue et en permettant que, sur autorisation écrite et motivée du procureur de la République, l’audition puisse commencer avant l’expiration du délai de deux heures lorsque les nécessités de l’enquête exigent une audition immédiate de la personne, le législateur a assuré, entre le droit de la personne gardée à vue à bénéficier de l’assistance d’un avocat et l’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions, une conciliation qui n’est pas déséquilibrée ;

« 31. Considérant, en quatrième lieu, que les trois derniers alinéas de l’article 63-4-2 permettent le report de la présence de l’avocat lors des auditions ou confrontations ainsi que celui de la consultation des procès-verbaux d’audition de la personne gardée à vue ; que ces dispositions n’ont pas pour effet de permettre le report de l’entretien de trente minutes de l’avocat avec la personne gardée à vue ; qu’un tel report n’est possible que sur autorisation écrite et motivée du procureur de la République, pour une durée de douze heures ; que cette durée peut être portée à vingt-quatre heures sur autorisation du juge des libertés et de la détention, lorsque la personne est gardée à vue pour un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à cinq ans ; que la possibilité d’un tel report n’est prévue qu’à titre exceptionnel, lorsque cette mesure apparaît indispensable pour des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l’enquête, soit pour permettre le bon déroulement d’investigations urgentes tendant au recueil ou à la conservation des preuves, soit pour prévenir une atteinte imminente aux personnes ; que la restriction ainsi apportée au principe selon lequel la personne gardée à vue ne peut être entendue sans avoir pu bénéficier de l’assistance effective d’un avocat est placée sous le contrôle des juridictions pénales saisies des poursuites ; que, par suite, eu égard aux cas et aux conditions dans lesquels elle peut être mise en oeuvre, la faculté d’un tel report assure, entre le respect des droits de la défense et l’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions, une conciliation qui n’est pas déséquilibrée (…) ».

– En dernier lieu, s’agissant du libre choix de l’avocat et de la possibilité de désigner d’office un autre avocat, le Conseil a jugé, dans cette même décision, au sujet du premier alinéa de l’article 63-4-3 du CPP qui « dispose que l’audition ou la confrontation est menée sous la direction de l’officier ou de l’agent de police judiciaire et prévoit que ce dernier peut à tout moment, en cas de difficulté, y mettre un terme et en aviser le procureur de la République qui informe, s’il y a lieu, le bâtonnier aux fins de désignation d’un autre avocat » (cons. 33), que « ces dispositions ne méconnaissent ni les droits de la défense ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit » (cons. 35).


B. – Mise en oeuvre


Tout d’abord, conformément à une jurisprudence bien établie, le Conseil constitutionnel a rappelé les conditions dans lesquelles l’incompétence négative peut être invoquée à l’appui d’une QPC : « la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où est affecté un droit ou une liberté que la Constitution garantit » (cons. 3).

En l’espèce, il ne faisait pas de doute qu’un droit ou une liberté était affecté, puisque non seulement les dispositions contestées affectent l’exercice des droits de la défense, mais organisent aussi la possibilité de restreindre cet exercice. Certes, les dispositions contestées ne privent pas du droit à l’assistance effective d’un avocat la personne placée en garde à vue, mais elles diffèrent la liberté de choisir son avocat. Cela constitue une atteinte à l’exercice des droits de la défense.

Le Conseil constitutionnel a jugé toutefois qu’une telle atteinte n’est pas en elle-même inconstitutionnelle. Il a relevé que, par ces dispositions, le législateur a « entendu prendre en compte la complexité et la gravité de cette catégorie de crimes et délits ainsi que la nécessité d’entourer, en cette matière, le secret de l’enquête de garanties particulières » (cons. 6).

Dans un premier temps du raisonnement, le Conseil constitutionnel a ainsi jugé que « la liberté, pour la personne soupçonnée, de choisir son avocat peut, à titre exceptionnel, être différée pendant la durée de sa garde à vue afin de ne pas compromettre la recherche des auteurs de crimes et délits en matière de terrorisme ou de garantir la sécurité des personnes » (cons. 7). Une telle atteinte, dont le Conseil souligne qu’elle ne peut intervenir qu’à titre « exceptionnel », n’est donc pas, par elle-même, contraire à la Constitution.

Le Conseil précise toutefois qu’il « incombe au législateur de définir les conditions et les modalités selon lesquelles une telle atteinte aux conditions d’exercice des droits de la défense peut-être mise en oeuvre » (cons. 7).

C’est sur ce point que le Conseil constitutionnel constate un cas d’incompétence négative, en relevant que « les dispositions contestées se bornent à prévoir, pour une catégorie d’infractions, que le juge peut décider que la personne gardée à vue sera assistée par un avocat désigné par le bâtonnier de l’ordre des avocats sur une liste d’avocats habilités établie par le bureau du Conseil national des barreaux sur proposition des conseils de l’ordre de chaque barreau ». Le Conseil relève une double insuffisance de la loi en ce que ces dispositions « n’obligent pas à motiver la décision ni ne définissent les circonstances particulières de l’enquête ou de l’instruction et les raisons permettant d’imposer une telle restriction aux droits de la défense » (cons. 7).

Au regard de ces éléments, le Conseil constitutionnel a estimé « qu’en adoptant les dispositions contestées sans encadrer le pouvoir donné au juge de priver la personne gardée à vue du libre choix de son avocat, le législateur a méconnu l’étendue de sa compétence dans des conditions qui portent atteinte aux droits de la défense » (cons. 7).

S’agissant de la question de l’effet dans le temps de sa décision, le Conseil a rappelé que « si, en principe, la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l’article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l’abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration » (cons. 8).

En application de ces règles, il a considéré que « l’abrogation de l’article 706-88-2 du code de procédure pénale prend effet à compter de la publication de la présente décision », de sorte qu’elle est « applicable à toutes les gardes à vue mises en oeuvre à compter de cette date » (cons. 9).

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