REFORME DE LA CARTE JUDICIAIRE - CONTRIBUTION DE LA FEDERATION NATIONALE DES UNIONS DE JEUNES AVOCATS

La contribution de la FNUJA communiquée à la Commission de Réforme de la Carte Judiciaire à la Chancellerie est en ligne ci-dessous et en document téléchargeable

Mercredi 26 Septembre 2007

A titre liminaire

La FNUJA estime qu’il ne lui appartient pas de se prononcer sur l’opportunité de la suppression de telle ou telle entité géographique, et reste dans l’attente des propositions de la Chancellerie, rappelant que c’est le gouvernement qui souhaite procéder à une refonte de la carte judiciaire.

La FNUJA déplore que le gouvernement, pour remédier aux dysfonctionnements profonds de la justice, depuis longtemps dénoncés, n'ait pas d'autre solution à proposer qu'une modification de la répartition géographique et de compétences de nos juridictions, de même que l’absence de communication de projet gouvernemental sur la seule base duquel une réelle concertation aurait pu avoir lieu.

Elle dénonce enfin la précipitation avec laquelle cette modification est envisagée, alors que d'autres réformes autrement plus urgentes et fondamentales n'ont toujours pas abouti.

Après avoir formulé des observations générales sur la réforme annoncée (Cf. I), la FNUJA propose dès à présent des modifications du fonctionnement actuel de la Justice, qui sont dans la conformité des objectifs poursuivis par le gouvernement, à savoir l’amélioration de la qualité de la Justice et de l’accès au droit.


I – SUR LA REFORME ANNONCEE

1.1 - La motivation affichée de la réforme

(i) Divers arguments sont développés pour inciter ou justifier la réforme de la carte judiciaire, au premier rang desquels figure l’archaïsme de la carte judiciaire actuelle, datant de 1958, et ne correspondant plus au contexte démographique et technologique (transport et communication).

Ainsi est née l’idée selon laquelle la carte judiciaire devait être calquée sur la carte administrative.

(ii) Il est également avancé la nécessité de réformer la carte judiciaire afin de répondre à un besoin de spécialisation des juges, spécialisation estimée utile pour des contentieux techniques, difficiles ou rares (tel que le droit de la propriété intellectuelle, droit maritime, droit de la presse, droit de la construction), les juridictions de petites envergures ne permettant pas une telle spécialisation, outre qu’elles favorisent l’isolement des magistrats mis au grand jour par l’affaire OUTREAU.

(iii) Sont également mis en avant des arguments budgétaires : certaines juridictions ne seraient pas rentables, et ainsi des moyens tant matériels qu’humains pourraient être redéployés sur d’autres juridictions de plus grande importance et présentant les seuils de rentabilité souhaités. La réforme avancée promet ainsi des économies budgétaires.

(iv) Un des derniers moyens soulevés est d’affirmer que la réforme de la carte judiciaire permettrait d’avoir des tribunaux plus sécurisés (annonce récente motivée par l’agression d’un magistrat).

De fortes oppositions à ce projet se sont faites entendre dans la profession d’avocat, mais surtout chez les magistrats et les élus locaux.

1.2 - L'insuffisance des arguments avancés

(i) Les arguments avancés en faveur de cette réforme de la carte judiciaire ne sont pas convaincants.

* Ainsi, l’argument de l’archaïsme de la carte judiciaire, et donc de la nécessité de la calquer sur la carte administrative ne paraît pas pertinent, compte tenu de l’inadéquation de la carte administrative aux évolutions actuelles, tant démographiques, que technologiques.

Il est par ailleurs rappelé le principe fondamental de l’indépendance du pouvoir judiciaire, sur l’autorité administrative, si bien que ce calquage n’a pas de raison d’être, sinon pour améliorer l’action du parquet dans les juridictions, en calquant son organisation sur celle de l’administration centrale. La FNUJA a toutefois pris acte de l’abandon par le gouvernement d’une réforme « automatique » sur la base d’un TGI par département et d’une Cour d’appel par région.

* Le critère de proximité doit, pour tous les justiciables et quelque soit leur lieu de résidence, nécessairement être pris en compte, en dehors de tout idée de démographie, et ce pour garantir un égal accès de tous à la justice.

Les moyens de transport ont un coût, qui sera supporté par le justiciable (ou à défaut par son avocat), et à de multiples reprises, compte tenu de la nécessité de rencontrer tant son conseil que son juge.

Les moyens de communication modernes (Internet) ne peuvent pallier l’impérieuse nécessité pour le justiciable de pouvoir rencontrer tant son juge que son avocat, étant rappelé que la Justice doit rester avant tout humaine, et non dématérialisée.

La déshumanisation de la justice ne peut être satisfaisante, et ne peut être, au surplus, rendue dans des Palais de Justice « usine », la personnalisation de la justice restant primordiale.

En arguant de cet archaïsme, aucun des défenseurs de ce projet n’avance l’idée selon laquelle il faudrait, dans un certain nombre de cas, non pas supprimer des juridictions, mais en créer des nouvelles, à l’instar de la création de nouveaux tribunaux administratifs courant de l’année 2007 (Toulon, Nîmes…), destinée à soulager les juridictions limitrophes encombrées.


* Par ailleurs, la technicité de certains contentieux (propriété intellectuelle, droit maritime, etc…) ne doit pas servir de prétexte à la réforme de la carte judiciaire.

Lesdits contentieux cités pour justifier de la réforme concerne une infime minorité des affaires traitées par l’ensemble des juridictions nationales.

Dans l’hypothèse d’un contentieux rare et technique, la spécialisation de quelques juridictions réparties sur le territoire national pourrait se justifier, étant précisé que ce système existe déjà pour quelques matières.

Concernant d’autres contentieux qualifiés de techniques (tels que notamment le droit de la construction, de la copropriété, baux commerciaux, etc…), leur importance volumétrique justifie largement leur maintien dans toutes les juridictions existantes, et ce, en vertu du principe de proximité.

Les juridictions et les professionnels se sont d’ailleurs depuis longtemps adaptés à ces contentieux de sorte que la qualité des décisions de justice ne peut pas globalement être remis en cause, au nom d’un prétendu manque de spécialisation.


* L’argument d’une économie budgétaire est difficilement compréhensible, outre le fait qu’elle n’est nullement justifiée, compte tenu du surcoût que générera nécessairement une telle réforme.

Une économie sur les personnels de justice ne peut être envisagée, compte tenu de l’insuffisance numérique du personnel actuellement en place, que ce soit dans les fonctions de magistrat, de greffier, d’assistants de justice, ou de personnels techniques.

La réforme de la carte judiciaire générera nécessairement un coût, que la justice ne peut se permettre compte tenu de la faiblesse de son budget :

- Des dépenses supplémentaires : Les palais de justice susceptibles d’accueillir les juridictions supprimées sont déjà exiguës, si bien que la construction de nouveau Palais de justice sera indispensable. Des frais de transfert de structure seront à engagés.
- Du gaspillage d’argent public : Les investissements récents et importants des juridictions supprimés verront leur utilité réduite à néant.
- Des indemnisations en masse à prévoir : l’indemnisation des études d’avoués (charge) sera pris en charge par l’état, outre les licenciements économiques du personnel des études d’avoués.


* Sur le dernier argument de la sécurité des tribunaux devant passer par la réforme de la carte judiciaire, le gouvernement ne peut soutenir sérieusement qu’une telle réforme puisse régler les problèmes sécuritaires dans les palais de justice. Seule l’augmentation du budget de la justice, depuis longtemps sollicitée par les acteurs de la vie judiciaire, pourrait y remédier.

De nouveau, des arguments prétextes sont avancés pour cette réforme non justifiée dans sa globalité.

1.3 - Les conséquences économiques d’une telle réforme

La suppression pure et simple de juridictions peut avoir de graves conséquences économiques, qui ne sont pas assez prises en compte dans le débat actuel :

tant pour l’économie locale des villes menacées dans son ensemble (incidences économiques directes, mutation ou suppression de postes de fonctionnaires, licenciement dans les études d’avoués, cabinet d’avocats, études d’huissiers puis incidences économiques indirectes : location/ vente immeuble, consommation etc …)
que pour les professionnels locaux : avocats et avoués, et plus particulièrement les jeunes avocats qui ont nécessairement investis pour s’installer dans la ville de leur juridiction menacée.

II – PROPOSITIONS DE LA FNUJA POUR UNE AMELIORATION DU SERVICE PUBLIC DE LA JUSTICE

2.1 - Une Justice rendue par des professionnels

La complexité de la matière juridique, sa présence, son importance et son incidence dans la vie quotidienne des justiciables, qu’il s’agisse de personnes morales ou physiques, imposent que la Justice soit rendue par des magistrats professionnels. Ils sont les mieux à même d’apporter l’assurance d’une Justice tout à la fois impartiale, compréhensible et de qualité.

Par ailleurs, la multiplication, ces dernières années, de recours à des juges non professionnels, n’a fait que compliquer les règles de saisine et de compétence des juridictions, générant de ce fait des conflits de procédure, et rendant d’autant plus opaque un système déjà mal compris par les justiciables.

Cela implique notamment :

- un échevinage systématique dans les juridictions paritaires :

La présence d’un juge professionnel s’impose plus particulièrement devant le conseil de prud’hommes, en raison de la technicité de la matière sociale.

Egalement recommandée par la conférence des présidents de TGI, elle permettrait « d’alléger le poids insupportable des appels des décisions des juridictions prud’homales et pacifier ce contentieux ».

Par ailleurs, la représentation d’une partie par un délégué syndical qui peut intervenir devant des juges membres du même syndicat, est souvent mal perçue. La présence d’un magistrat, garant de l’impartialité, serait donc de nature à rassurer sur ce point.

Enfin, sa présence systématique à l’audience de jugement impliquerait par définition la suppression des audiences de départage, qui sont très fréquentes. Il en résulterait donc un avantage économique d’une part, et un raccourcissement non négligeable de la durée de ces procédures d’autre part.

- la suppression des juges de proximité

L’association nationale des Juges d’Instance convient elle-même que « en matière civile, il apparaît que les délais de traitement d’affaires autrefois jugées très rapidement par les tribunaux d’instance ont tendance à s’allonger et les stocks d’affaires en attente de jugement à s’accroître. De plus la grande hétérogénéité des juges de proximité donne des résultats extrêmement disparates dans le traitement des contentieux civils. »

La FNUJA partage cette opinion, mais l’applique également à la matière pénale.

A défaut de suppression totale des juges de proximité, il paraît impératif de convenir à tout le moins d’un recrutement dans des catégories professionnelles plus restreintes, d’une formation plus importante, enfin de rendre leurs décisions susceptibles d’appel.

- la suppression des délégués du procureur

Le contentieux pénal, quelle que soit sa gravité, reste généralement l’événement le plus important dans la vie d’un justiciable, qu’il s’agisse d’un prévenu ou d’une partie civile. En outre, le respect des règles, notamment de procédure, peut présenter un caractère technique. C’est pourquoi il doit impérativement relever de la compétence d’un juge professionnel, qui est le mieux à même de s’assurer du respect des règles de la défense, d’apprécier l’éventuelle culpabilité, la sanction adaptée, et de préserver l’intérêt des victimes qui sont bien souvent négligées devant cette formation.

- un recrutement complémentaire ?

La mise en œuvre de ces mesures peut certes passer par un recrutement complémentaire de magistrats professionnels qui permettrait de surcroît de répondre aux besoins de collégialité et de spécialisation, ainsi que du personnel des greffes.

La FNUJA s’interroge toutefois sur une meilleure rationalisation de la répartition des fonctionnaires de la justice sur le territoire, en fonction du volume d’affaires traitées.
En effet, en l’état des seules statistiques publiées, elle constate que, pour un même volume d’affaires, certains ressorts sont bien plus nantis que d’autres, sans que l’explication en soit donnée.

2.2 - L’extension de la représentation obligatoire par avocat

Pour les mêmes raisons qui font que la justice doit être rendue par des professionnels, elle doit être servie par des professionnels.

Seul l’avocat peut être garant tout à la fois de la qualité du service rendu au justiciable, de son efficacité, et du respect des principes fondamentaux sur lesquels repose notre système judiciaire.

Pour les juridictions, sa présence est le gage d’un gain de temps dans la présentation écrite ou orale des dossiers et par l’évitement des actions non fondées ou mal dirigées (en termes de personne ou de compétence), d’une meilleure tenue des audiences, et surtout d’un équilibre fondamental entre les parties en présence, qu’il s’agisse de la matière pénale ou civile.

La Profession d’avocats convient unanimement de la nécessaire extension de la représentation systématique par avocat devant la juridiction commerciale et devant le tribunal d’instance où les contentieux même « petits » n’en sont pas moins techniques. Enfin dans le contentieux pénal, où l’assistance d’un avocat trouve pleinement sa raison d’être.

Elle a conscience que, pour ces deux derniers, le seul obstacle pour le gouvernement réside dans la prise en charge économique de l’augmentation consécutive des dossiers du secteur assisté.

Les syndicats d’avocats, de même que leurs organisations représentatives, se sont efforcés de proposer des solutions équitables afin que le coût généré par l’Aide Juridictionnelle puisse être correctement assumé par l’Etat.

En tout état de cause, le gouvernement ne peut en aucun cas redouter de se doter d’un système permettant, à tous, l’accès à une justice de qualité. C’est le corollaire indispensable d’un Etat de droit.

2.3 - La réforme de l’aide juridictionnelle

L’amélioration nécessaire de l’accès au droit renvoie systématiquement à la question de l’indispensable et urgente réforme de l’Aide Juridictionnelle, que le gouvernement semble avoir exclu de son actualité malgré les promesses faites à la profession depuis 2000.


Sur ce point, la FNUJA renvoie donc à ses propositions de réforme contenues dans son rapport du 9 décembre 2006 (visible sur son site : http://fnuja.com/Rapport-sur-la-refonte-du-systeme-d-Aide-Juridictionnelle-Acces-au-Droit-et-Motion-de-mobilisation-de-la-FNUJA-pour-le_a605.html).


2.4 - Allongement du délai de recours des juridictions de police et correctionnelles et délivrance dans le délai des copies motivées des décisions

Les décisions de ces juridictions ne sont bien souvent motivées qu’en cas d’appel, et leur copie est généralement délivrée bien après l’expiration du délai de recours.

Par ailleurs, la brièveté du délai ne permet pas toujours aux parties de prendre sereinement une décision.

Il en résulte que bon nombre d’appel sont inscrits « à titre conservatoire », dans l’attente de la copie du jugement motivé, qu’il s’agisse des dispositions pénales du jugement ou - plus fréquemment - de ses dispositions civiles.

D’où, si l’appel n’est pas maintenu, un surcroît de travail inutile pour le greffe, puis la Cour, ainsi qu’un retard qui peut être très préjudiciable (notamment aux victimes) dans l’exécution des jugements du fait de l’effet suspensif. Enfin, les conséquences peuvent être désastreuses pour le prévenu si l’appel des dispositions pénales entraîne celui du Parquet (ce qui est généralement le cas).

C’est donc pour éviter cette dérive qui porte atteinte aux intérêts de chacun, qu’il est proposé d’allonger le délai de recours, qui pourrait être porté à un mois, avec délivrance obligatoire sous 15 jours de la copie motivée du jugement


2.5 - La question de la TVA sur les honoraires libres des avocats

Le taux de TVA qui s’applique sur les honoraires libres de l’avocat, trop élevé, est un obstacle à l’accès au droit. Il pénalise d’une façon générale les plus démunis, et paraît plus particulièrement injuste pour deux séries de justiciables :

*. Ceux, très nombreux, dont les ressources se situent immédiatement au dessus du seuil permettant de bénéficier de l’aide juridictionnelle partielle.

* La personne physique en litige avec l’entreprise susceptible de récupérer cette TVA (outre la possibilité d’inclure les honoraires de son avocat dans ses charges déductibles). Le coût du procès n’est donc pas le même pour l’une ou pour l’autre. Cette injustice, présente dans tous types de contentieux, est flagrante dans les procès prud’homaux qui oppose un salarié à une société.

C’est pourquoi il est proposé l’instauration d’un crédit d’impôt pour les particuliers qui pourrait porter sur un montant correspondant à celui de la TVA acquittée.

En conclusion

La FNUJA est particulièrement perplexe sur la réforme annoncée, tant sur le fond que sur la forme.

Sur le fond :

La réforme de la carte judiciaire, dont les conséquences économiques pourraient être désastreuses pour les avocats et leurs salariés concernés par les suppressions de juridictions, mais aussi pour la globalité des bassins économiques concernés, n’apparaît pas constituer une priorité pour l’amélioration de notre Justice.

Sur la forme :

L’ouverture d’une concertation portant sur la réforme de la carte judiciaire, avec la fixation d’un calendrier très serré pour la remise des contributions que rien ne justifie, sans communication par le gouvernement de son projet et des études d’impact qu’il a certainement fait réaliser, ne constitue pas, selon la FNUJA une méthode adaptée à l’enjeu d’une telle réforme. Celle-ci nécessite au contraire la présentation d’un projet sur la base duquel des discussions pourront avoir lieu entre le gouvernement et les différents acteurs de la profession, dont la profession d’avocats est un acteur majeur. A ce titre, la place faite aux avocats dans le Comité de réforme de la carte judiciaire n’est pas du tout représentative de l’importance de ces derniers dans le fonctionnement quotidien de la justice.

Il ne s’agit là que de premières observations et propositions essentielles. La FNUJA poursuit sa réflexion et ne manquera pas de réagir aux propositions du gouvernement lorsqu’elles seront enfin connues.


Lionel ESCOFFIER
Président de la FNUJA

Loïc Dusseau