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24 heures dans la Vie d'un jeune Avocat... de Côte d'Ivoire

Vendredi 5 Septembre 2008

Etre Avocat, Etre femme, se raconter en 24 heures, morceaux choisis de la journée d’une jeune Avocate au Barreau d’Abidjan (Cote d’Ivoire). EVA. B


24 heures dans la Vie d'un jeune Avocat... de Côte d'Ivoire
7H15 : domicile d’EVA B. L’adrénaline monte comme le café qui bouillonne. Pantalon, chemisier, chaussures plates, une tasse, un morceau de pain et c’est parti !
Selon qu’un éboulement n’ait pas entraîné la coupure totale de la chaussée ou qu’un automobiliste malchanceux n’ait pas fait une crevaison… on se déplace. Parait que ce n’est pas encore la folie ici parce que sous d’autres cieux c’est pire !

Enfin, la robe roulée à son bras, elle arrive au Plateau, rue,….c’est le Palais de Justice. Il est 8h00.

A son rôle, Audience de référés, mainlevée de saisie attribution de créances et tribunal du Travail l’après midi. Elle va s’éclater.

Passage éclair à la Salle Kouamé Binzème pour enfiler sa robe dans le foisonnement et le bruit des discussions que les Gens de robe savent si bien mener.

Mais enfin, où se tient cette audience aujourd’hui ? Bureau du Juge. Bien avant, il faut satisfaire au rituel sacré dont les Avocats sont si jaloux : le Classement de dossiers selon l’ancienneté. Manque de bol, son contradicteur n’est pas encore là (il peut se le permettre, il est défendeur). Naturellement le dossier d’Eva est classé au plus bas rang(résultat quand on est fraîchement admis au Tableau)

Là n’est pas le plus dur. Faut être en sacrée forme pour attendre…debout dans le couloir des référés s’égrener les affaires. Elle discute avec les Confrères, de l’actualité politico- judicaire croustillante du moment. Tiens, il est 11h 30, son dossier est appelé. Elle rentre, profite de l’opportunité qui lui est donnée de plaider, (elle aurait pu s’entendre demander de produire des conclusions) , plaide avec l’énergie qui lui reste et obtient que la cause soit immédiatement mise en délibéré.

11h50 : Au pas de course, comme cet homme politique hyperactif, elle tente de rattraper Maître DATTIE, greffier de la troisième chambre civile pour obtenir une expédition d’un jugement. Elle doit nécessairement produire cette décision pour faire enrôler son dossier devant la Cour d’appel. Le client grogne ; et il a raison ! Depuis 2 mois que la décision est rendue…ça frise le manque de diligence en effet…Et pourtant !

Elle descend dans la fournaise du Greffe. Son téléphone mobile sonne. Une urgence ! Un client du Cabinet à assister à la police criminelle qui se trouve à quelques encablures du Palais de Justice. Vous êtes surpris ? C’est une innovation du code de procédure pénale ivoirien : La loi numéro 98-747 du 23 décembre 1998 relative à l’intervention des Avocats au cours des enquêtes prévoit que tout prévenu a la possibilité dès la comparution devant l’officier de police d’être assisté d’un conseil. Une longueur d’avance sur plusieurs pays !

Me DATTIE la rassure comme à son habitude ; mais cette fois elle arrive à obtenir de lui une date ferme non sans qu’il lui eut lancé un « Ça va aller !», formule dont sont friands les Ivoiriens.


12h15 : elle court à la rescousse de ce client en détresse. La police, quoiqu’on dise, c’est traumatisant.

Alors, elle arrive : ABC portant sur la somme de 5.000.000 FCFA. Le client, une cliente plutôt, est mise en cause à titre personnel. Elle est interrogée, puis entendue sur Procès verbal. Ses déclarations sont constantes. Elle n’a jamais eu connaissance de cette transaction qui a mal tourné, aucune trace de son implication dans cette affaire. Aucune signature, rien ! Faire entendre raison à cet officier pour qui la messe était déjà dite, c’est plus de la diplomatie que du droit.

Elle ne déjeunera pas. Sa cliente restera là. Elle le sait.


Il est 14h30, entre énervement et tension, elle se souvient de ce dossier pendant devant le Tribunal du Travail où les audiences publiques se tiennent tous les après midi Et pour lequel elle doit solliciter un renvoi, du reste difficile à plaider. Pas possible de confier son rôle à son ami Luky, fidèle qui bien gentiment aurait accepté de solliciter ce renvoi. Mais il est intraitable le Juge HANOP. Elle doit absolument être à cette audience pour tenter personnellement d’obtenir ce renvoi.

Elle explique à sa cliente, tétanisée par la perspective d’un séjour dans cette cage obscure, qu’elle part régler une urgence ( ?) et revient le plus tôt possible.

Lorsqu’elle fait son entrée dans cette salle du Tribunal du Travail à 14h45, l’audience a débuté, les délibérés en train d’être vidés par le Président. Point de classement de dossier dans cette juridiction : Heureusement ! Son dossier est appelé une demie heure plus tard. Plaider un renvoi ! Elle a soudainement des réminiscences d’une discussion avec son Rapporteur, ce talentueux Confrère et excellent plaideur qui lui avait dit lors de l’enquête précèdent son admission au Stage que : « C’est une profession comportant plusieurs métiers ». L’art dramatique en fait certainement partie. La mise en scène plus particulièrement. Et elle avait bien l’intention de jouer de cet art cet après midi : Avec sa mine absolument sereine, elle s’approche de la barre et commence par dire au Tribunal d’une voix claire et assurée: « Monsieur le Président, la règle de ce Tribunal est connue, aucun renvoi n’est accordé. Cette règle nous l’aimons et votre rigueur avec. Seulement mon client qui n’a pas la connaissance de notre environnement et de la rigueur des délais auxquels nous sommes astreints, n’a pas jugé utile de me transmettre les pièces à temps. Or, elles sont importantes et aideront le Tribunal à rendre une décision éclairée… » HANOP feint de ne pas y prêter attention et sans même la regarder, renvoie la cause à une semaine à cette fin. Elle a compris qu’elle n’obtiendra plus aucun renvoi dans cette affaire. Aucun. Ouf ! Elle peut repartir voir sa cliente en espérant que l’officier daigne comprendre qu’elle n’est qu’une préposée de cette société et qu’elle n’a pas agi à titre personnel !!!


15h30 : Retour dans l’enceinte de la Police Criminelle. Les choses n’ont pas semblé évoluer depuis. Faut sortir le grand jeu. Sa cliente offre des garanties de représentation. La maintenir n’est pas nécessaire. Etant son avocat, elle prend l’engagement de la faire comparaître chaque fois qu’il en sera requis. Et puis… et puis, à 18heures, elle est libérée, in extremis.


18h20 : Retour au cabinet. Sur son bureau, le rôle du lendemain, déposé sûrement par la dynamique Françoise qui se charge de tout…Les comptes rendu au client sont faits immédiatement, c’est une règle d’or. Puis elle épluche ses messages. EVA.B regarde le rôle du lendemain : Audience correctionnelle, conclusions à déposer devant la chambre présidentielle. Elle s’y met….Sa journée se terminera certainement le lendemain…Tant de chantiers à achever…



Binta Bakayoko
Avocat à la Cour
ABIDJAN (Côte d'Ivoire)

Massimo BUCALOSSI