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DROIT DE GARDER LE SILENCE ET ASSISTANCE D’UN AVOCAT EN GARDE A VUE : LA FRANCE CONDAMNEE PAR LA COUR DE STRASBOURG



DROIT DE GARDER LE SILENCE ET ASSISTANCE D’UN AVOCAT EN GARDE A VUE : LA FRANCE CONDAMNEE PAR LA COUR DE STRASBOURG


Par un arrêt rendu le 14 octobre dans une affaire Brusco c. France, la Cour européenne des Droits de l’Homme a condamné la France pour violation de l’article 6 §§ 1 et 3 de la CEDH qui consacrent le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et de garder le silence. Une condamnation qui intervient le lendemain même de la présentation en conseil des ministres du projet de loi réformant la garde à vue.

Le requérant, un ressortissant français suspecté d’avoir commandité une agression, avait été placé en garde à vue. Il avait dû prêter le serment de dire « toute la vérité, rien que la vérité » comme le Code de procédure pénale le prévoyait à l’époque des faits (1999) pour les témoins.

M. Brusco se plaignait d’avoir été privé du droit de se taire et de ne pas s’auto-incriminer.
Dans sa décision, la Cour rappelle avant tout l’importance du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et de celui de garder le silence, des normes internationales généralement reconnues comme au cœur de la notion de procès équitable.

Elle relève que lorsque le requérant a dû prêter le serment précité, il était en garde à vue (à cette époque, on pouvait placer un individu en garde à vue même sans « indices graves et concordants » démontrant la commission d’une infraction par l’intéressé, ou « raisons plausibles » de soupçonner cela).

Or, lorsque M. Brusco avait été placé en garde à vue, l’un des agresseurs présumés l’avait déjà expressément mis en cause comme étant le commanditaire de l’agression et la victime de l’agression avait porté plainte contre lui. Les autorités avaient donc des éléments de nature à le suspecter d’avoir participé à l’infraction.

Selon la Cour, lorsque M. Brusco a été placé en garde à vue et a dû prêter serment, il faisait donc l’objet d’une « accusation en matière pénale » et bénéficiait par conséquent du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et de garder le silence garanti par l’article 6 §§ 1 et 3 de la CEDH.

M. Brusco a été condamné sur la base des déclarations qu’il a faites après sa prestation de serment.
La Cour estime que le fait d’avoir dû prêter serment avant de répondre aux question de la police a constitué une forme de pression sur l’intéressé (par ailleurs déjà en garde à vue depuis la veille), et que le risque de poursuites pénales en cas de témoignage mensonger a assurément rendu la prestation de serment plus contraignante.

La Cour note par ailleurs que depuis 2004, la loi a changé et que l’obligation de prêter serment et de déposer n’est plus applicable aux personnes gardées à vue sur commission rogatoire d’un juge d’instruction.

La Cour constate également que M. Brusco n’a pas été informé au début de son interrogatoire du droit de se taire, de ne pas répondre aux questions posées, ou encore de ne répondre qu’aux questions qu’il souhaitait. Elle relève en outre qu’il n’a pu être assisté d’un avocat que 20 heures après le début de la garde à vue (délai prévu à l’article 63-4 du CPP). L’avocat n’a donc été en mesure ni de l’informer sur son droit à garder le silence et de ne pas s’auto-incriminer avant son premier interrogatoire ni de l’assister lors de cette déposition et lors de celles qui suivirent, comme l’exige l’article 6 de la Convention.

Au final, la Cour estime qu’il a été porté atteinte au droit du requérant de ne pas contribuer à sa propre incrimination et de garder le silence. La France est condamnée à verser 5 000 € au requérant pour dommage moral et 7 000 € pour frais et dépens.

Le Conseil National des Barreaux a indiqué par un communiqué du même jour que « cette décision a notamment pour effet de s’opposer à l’audition libre prévue par le projet de loi relatif à la garde à vue, qui ne prévoit ni le droit au silence, ni l’assistance effective par un avocat pendant cette mesure. Le Parlement et le Gouvernement doivent tirer les conséquences de cette nouvelle décision qui conforte les droits de la défense pendant la garde à vue. »

A noter que cet arrêt n’est pas définitif : dans un délai de trois mois à compter de la date de son prononcé, toute partie peut demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre de la Cour.

(D’après le communiqué de la Cour)

Mardi 19 Octobre 2010
Eric BONNET