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De la défense au conseil : le secret professionnel en péril, à propos de l’arrêt de l’arrêt Ccass., Crim., 2 septembre 2025, n° 24-85.225

Jeudi 30 Octobre 2025

Par Aurore FOURNIER, Avocate au Barreau de Paris, Co-Présidente de la commission déontologie de la FNUJA et Florian MICHEL, Avocat au Barreau de Lyon, Secrétaire Général Province du Bureau de la FNUJA

Pour reprendre la célèbre formule d’Émile Garçon, « le bon fonctionnement de la société veut que le malade voit un médecin, le plaideur un défenseur […] Mais ni le médecin, ni l’avocat ne pourraient accomplir leur mission si les confidences qui leur sont faites n’étaient assurées d’un secret inviolable ».

Le nouvel arrêt de la Cour de cassation rendue le 2 septembre 2025 porte un nouveau coup au secret professionnel de l’Avocat, portant ainsi atteinte au bon fonctionnement de la société elle-même.

Dans cette affaire, un signalement de la chambre régionale des comptes a conduit le parquet national financier à ouvrir une enquête portant sur des irrégularités dans la passation de contrats entre une compagnie aérienne et un aéroport successivement géré par une chambre de commerce et un syndicat mixte.

Des perquisitions sans assentiment ont été autorisées par le juge des libertés et de la détention (ci-après : « JLD ») dans les locaux du syndicat mixte.

Lors de cette perquisition, le directeur du syndicat mixte s’est opposé à la saisie de documents qu’il estimait couverts par le secret professionnel de la défense et du conseil (art. 66-5 de la loi du 31 décembre 1971).

Pour rappel, l’article 56-1 du CPP précise que : « Le magistrat qui effectue la perquisition veille à ce que les investigations conduites ne portent pas atteinte au libre exercice de la profession d'avocat et à ce qu'aucun document relevant de l'exercice des droits de la défense et couvert par le secret professionnel de la défense et du conseil, prévu à l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, ne soit saisi et placé sous scellé ».

Les documents ont été placés sous scellés.

Finalement, le JLD a ordonné la restitution de certaines pièces et le versement d’autres à la procédure.

Le syndicat mixte, la CCI, le bâtonnier et l’avocat concerné ont contesté cette décision.

Par ordonnance du JLD du 24 juin 2024, les parties obtiennent restitution partielle des pièces saisies.

Un recours est formé devant le président de la chambre de l’instruction, qui ordonne, par ordonnance du 2 août 2024, le versement de l’ensemble des pièces saisies à la procédure.

Des pourvois en cassation sont formés.

Les demandeurs au pourvoi soutiennent quatre arguments majeurs :

1/ Les documents saisis relevaient du secret professionnel tant dans l’activité de défense que de conseil, et étaient donc insaisissables ;
2/ Le juge a restreint abusivement la protection du secret du conseil aux seuls cas où le client prépare sa défense pénale, en méconnaissance :
  • des articles 56-1, 56-1-1 et 56-1-2 CPP,
  • de l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971,
  • et de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).
3/ Il n’existait aucune preuve de participation de l’avocat à une infraction.
4/ La saisie des notes d’honoraires n’était pas justifiée.

La Cour de cassation devait ainsi trancher deux points distinct :

D’une part, la question de la recevabilité des personnes autorisées  à former pourvoi (bâtonnier, avocat, syndicat mixte, CCI) ;

D’autre part, se posait la question de savoir si la distinction entre l’activité de défense et celle de conseil permettait de limiter la portée du secret professionnel de l’avocat et, par conséquent, d’autoriser la saisie de certains documents dans le cadre d’une procédure pénale.

D’abord, la Cour retient fort heureusement que le bâtonnier, le syndicat mixte et l’avocat ont qualité de partie à l’instance et sont recevables à former pourvoi (se référant notamment aux dispositions de l’article 56-1 et 56-1-1 du Code de procédure pénale).

En revanche, la CCI de Charente-Maritime, n’ayant pas qualité de partie, a été jugée irrecevable en son pourvoi.

Ensuite, sur le fond, la distinction opérée par la Cour de cassation entre l’activité de conseil et de défense pose de véritable difficulté.
En effet, elle estime que la saisie de documents relevant du conseil est possible dès lors qu’ils ne concernent pas l’exercice des droits de la défense.

La Cour de cassation indique que le secret professionnel de l’avocat n’a pas un caractère absolu et qu’il ne s’applique pleinement qu’aux documents en lien direct avec l’exercice des droits de la défense, lesquels demeurent insaisissables.

En revanche, les pièces se rapportant à une activité de conseil ou de simple sécurisation juridique peuvent être régulièrement saisies lorsqu’elles présentent un intérêt pour l’enquête pénale, limitant ainsi de facto le secret professionnel lui-même.

La Cour précise en outre que l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, garantissant le respect de la vie privée et de la correspondance, n’interdirait pas cette distinction entre défense et conseil.

Elle ajoute enfin que l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne est inapplicable en l’espèce, la procédure ne mettant pas en œuvre le droit de l’Union.

En conséquence, la Cour de cassation valide les juges du fond qui ont pu considérer que les consultations d’avocat et notes d’honoraires saisies ne relevaient pas de la défense mais d’une mission de conseil juridique, et qu’elles présentaient un lien suffisant avec les faits objets de l’enquête.

In fine, la Cour de cassation retient que le secret professionnel de l’avocat n’a pas un caractère absolu.

Il ne s’appliquerait pleinement qu’aux documents en lien direct avec l’exercice des droits de la défense, lesquels demeureraient seuls insaisissables.

Dès lors, les pièces se rapportant à une activité de conseil ou de simple sécurisation juridique pourraient être régulièrement saisies lorsqu’elles présentent un intérêt pour l’enquête pénale.

Cette arrêt suscite de surnombres réactions et inquiète fortement quand au respect du secret professionnel de l’Avocat, indispensable dans une société démocratique.

Celui-ci s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle de limitation du secret du conseil, en cohérence avec la protection des deniers publics et la transparence administrative peut-être, mais en contradiction certaine avec la protection du secret professionnel de l’avocat.

Cet arrêt renforce le pouvoir du juge de contrôler la nature des documents saisis, sans concilier la protection du secret professionnel et la recherche de la vérité, cette dernière étant plus que mise en avant en défaveur du premier.

I. Le secret professionnel, un devoir de l’Avocat, nécessaire et indispensable dans une société démocratique 
  1.  
Le secret professionnel de l’avocat est prévu par l’article 66-5 de la loi de 1971, lequel dispose que :
« En toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention " officielle ", les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel ».

Ces dispositions impose ainsi à l’avocat le respect du secret professionnel, qui s’impose à lui et ne peut en être délié, même par son client [1].

Le secret professionnel de l’avocat n’est pas seulement une obligation à la charge de l’Avocat, il s’agit également mais surtout d’une nécessité pour effectuer correctement sa mission. Comme le précise le célèbre ouvrage « Règle de la profession d’avocat », « sans l’inviolabilité du secret, point de confiance ; sans confiance, l’avocat ne peut ni conseiller ni plaider en connaissance de cause » [2].

Autrement dit, le secret professionnel est nécessaire pour que l’Avocat exerce réellement sa fonction.

A cet égard, la jurisprudence européenne [3] rappelle que :
« les avocats se voient confier une mission fondamentale dans une société démocratique : la défense des justiciables. Or un avocat ne peut mener à bien cette mission fondamentale s’il n’est pas à même de garantir à ceux dont il assure la défense que leurs échanges demeureront confidentiels. C’est la relation de confiance entre eux, indispensable à l’accomplissement de cette mission, qui est en jeu. En dépend en outre, indirectement mais nécessairement, le respect du droit du justiciable à un procès équitable, notamment en ce qu’il comprend le droit de tout “accusé” de ne pas contribuer à sa propre incrimination ».

Dans l’affaire commenté, la Cour de cassation considère que les éléments saisis ne relèvent pas du droit de la défense et in fine n’est pas protégés.
  1.  
De longue date, la FNUJA se bat pour que le secret professionnel de l’avocat bénéficie d’un véritable statut.

En 1999, lors de son Congrès de Bordeaux [4], la FNUJA rappelait que :

« Le secret professionnel de l'avocat, dont le législateur a précisé le périmètre et le contenu, n'est édicté que dans le but de protéger les libertés individuelles, d'assurer le respect de la confidence et de la confiance du justiciable, et de garantir le droit pour le citoyen de disposer, en toute matière, d'un défenseur ou d'un conseil libre, éclairé, et indépendant ».

Mais également que :

« Tous les éléments du dossier ayant trait au rapport personnel de l'avocat et de son client (correspondances, conversations, notes de rendez-vous, consultations, etc ...) doivent être protégés avec la plus grande fermeté. [...]
La protection absolue du secret professionnel est la condition d'un fonctionnement harmonieux du système judiciaire des sociétés démocratiques ».

En 2015, lors de Congrès à Nantes [5], la FNUJA proposait un renforcement de la protection du secret professionnel.

En 2020 [6], la FNUJA insistait sur la nécessité pour le législateur de conférer au secret professionnel de l’Avocat un caractère d’ordre public afin qu’il soit général, absolu et illimité dans le temps. 

Plus encore, la FNUJA [7] réclame l’intégration du secret professionnel de l’Avocat au sein de la Constitution 4 octobre 1958 afin de garantir aux justiciables une garantie constitutionnelle inhérente à l’effectivité et à la protection des droits et libertés publiques.

II. Une atteinte inquiétante au secret professionnel de l’avocat
  1.  
La décision rendue par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 2 septembre 2025, en validant la saisie de documents issus de l’activité de conseil d’un avocat, réaffirme la distinction entre défense et conseil dans la portée du secret professionnel (déjà opérée dans la décision de la Cour de cassation du 11 mars 2025 [8] et par le Conseil Constitutionnel également [9]).

Si cette distinction est désormais constante en jurisprudence, elle suscite de sérieuses réserves quant à la protection effective du secret professionnel, pourtant considéré comme une garantie fondamentale du droit à un procès équitable.

En jugeant que le secret professionnel ne couvre que les documents relatifs à la défense, au sens le plus strict qui soit, la Cour réduit la portée d’un principe pourtant général et absolu consacré par l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971.

Or, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme reconnaît que toute communication entre un avocat et son client mérite une protection renforcée, qu’elle concerne un procès en cours ou une consultation juridique.

En distinguant ainsi entre défense et conseil, la Cour de cassation affaiblit la confiance nécessaire entre l’avocat et son client, en permettant à l’autorité judiciaire de s’immiscer dans le contenu de l’activité de conseil, pourtant souvent étroitement liée à la stratégie de défense.

Cette distinction, dont la limite est assez floue, ouvre la porte à des interprétations extensives de ce qui peut être considéré comme relevant du « conseil ».

En effet, et la Cour de ne peut l’ignorer, une note d’honoraires, un avis juridique ou une consultation pré-contentieuse peuvent contenir des éléments préparatoires à une défense future.

En autorisant leur saisie, la Cour fait peser un risque de divulgation d’informations sensibles, susceptibles de compromettre l’exercice des droits de la défense et de dissuader les clients d’une transparence totale envers leur avocat.

Plus encore, ces éléments pourrait directement participer à l’incrimination du mise en cause !

Le principe du secret professionnel ne sert dès lors plus à protéger le justiciable mais à l’incriminer.
  1.  
Si la Cour invoque l’article 8 de la CEDH pour valider la distinction, elle en méconnaît l’esprit : la protection du secret professionnel des avocats a été jugée par la CEDH comme une composante essentielle du respect de la vie privée et du droit à un procès équitable (art. 6 et 8 CEDH).

Par ailleurs, en écartant l’application de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, la Cour refuse d’inscrire sa décision dans une logique de protection maximale, au profit d’une approche purement interne et plus permissive.
 
***

Cet arrêt, sous couvert de concilier secret professionnel et impératifs d’enquête, fragilise un pilier de l’État de droit.

En restreignant la protection du secret professionnel, dans le cadre d’un dossier pénal, à la seule activité de défense, la Cour de cassation porte une atteinte grave à la relation avocat–client, transformant un principe de garantie en exception conditionnelle.

La décision s’inscrit ainsi dans une tendance préoccupante de réduction du périmètre du secret, au risque de banaliser des atteintes à la liberté et à l’indépendance de la profession d’avocat.

La FNUJA ne peut au regard de cette décision que rappeler la nécessité de respecter les textes et la nécessité d’une constitutionnalisation du secret professionnel.
 
 
[1] Voir par exemple, CNB, Comm. RU, avis n° 2004-009 ; avis n° 2016-057 ; Ccass., Crim., 27 octobre 2004, n° 04-81.513 ; Ccass., 1e Civ., 6 avril 2004 ; n° 00-19.245
[2]  Règle de la profession d’avocat, Dalloz, éd. 2025–2026, p. 760
[3]Michaud c. France, arrêt du 6 décembre 2012, §§ 118-119
[8] Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 11 mars 2025, 23-86.260, Publié au bulletin
[9] décision n° 2022-1030 QPC du Conseil Constitutionnel en date du 19 janvier 2023

Florian MICHEL