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L'hospitalisation d'office par Soliman LE BIGOT, Secrétaire général de la FNUJA

L’hospitalisation d’office : vers un renforcement du pouvoir exécutif

Jeudi 4 Janvier 2007

L'hospitalisation d'office par Soliman LE BIGOT, Secrétaire général de la FNUJA
La loi 90-527 du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d'hospitalisation, complétée par la loi 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, fixe le régime juridique de deux types d’hospitalisation sans consentement :
  • l’hospitalisation à la demande d’un tiers ne peut avoir lieu que lorsque les troubles présentés par la personne à hospitaliser rendent impossible son consentement et lorsque son état impose des soins immédiats assortis d’une surveillance constante en milieu hospitalier (C. santé, publ., art. L. 3212-1). Elle est prononcée par le directeur de l’établissement sur demande d’admission présentée, soit par un membre de la famille du malade, soit par une personne susceptible d’agir dans l’intérêt de celui-ci.
  • l’hospitalisation d’office s’applique aux personnes dont les troubles mentaux compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l’ordre public (C. santé, publ., art. L. 3213-1). Elle émane du préfet de département ou du préfet de police à Paris ; elle est complétée par la possibilité pour le maire (les commissaires de police à Paris), en cas de danger imminent pour la sûreté des personnes, de prendre toutes les mesures provisoires nécessaires.
Environ 13 % des entrées en hôpital psychiatrique se déroulent sans consentement. Les personnes atteintes de troubles mentaux peuvent aussi procéder de plein gré à une hospitalisation qui sera dite « libre ». En 2001, 72 519 hospitalisations sans consentement ont eu lieu, dont 62 894 à la demande d’un tiers et 5 904 d’office (Rapport sur les problèmes de sécurité liés aux régimes d’hospitalisation sans consentement, ministère de l’Intérieur, de la Sécurité intérieure et des Libertés locales, mai 2004). En 2003, les hospitalisations d’office représentaient, hors personnes détenues, près de 9 000 hospitalisations (Programme de la Direction générale de la Santé, 2006). Les mesures d’hospitalisation d’office restent en constante augmentation en dépit de l’amélioration de la qualité du système de soins qui devrait contribuer à la réduction de ce chiffre (HAS, Fiche thématique « Psychiatrie et santé mentale », 2005).

C’est pourquoi, il semble nécessaire de restreindre l’hospitalisation aux cas les plus dangereux (Cf. Rapport sur les problèmes de sécurité liés aux régimes d’hospitalisation sans consentement, ministère de l’Intérieur, de la Sécurité intérieure et des Libertés locales, mai 2004). Et, c’est également pour cette raison que l’hospitalisation d’office est strictement encadrée par les textes.



Les décisions d’hospitalisation d’office donnent lieu à un double contentieux :

  • le contrôle de la régularité de la décision et la responsabilité résultant d’une irrégularité est un contentieux administratif. Ainsi, il a été récemment jugé que la décision d’une levée d’hospitalisation d’office par préfet avait le caractère d’une mesure de police administrative, ne portant pas atteinte à la liberté individuelle, dont il appartient à la juridiction administrative d’apprécier tant la régularité que le bien-fondé (T. confl., 26 juin 2006, Président du Conseil de Paris c/ Préfet de police de Paris, )
  • le contrôle relatif à la nécessité et au bien-fondé de l’hospitalisation et les conséquences pouvant résulter d’un internement arbitraire relèvent du contentieux judiciaire. Ainsi, l’autorité judiciaire, gardienne des libertés individuelles, est seule compétente pour apprécier l’ensemble des conséquences dommageables d’une décision de placement y compris celles découlant de ses irrégularités constatées par le juge administratif, en conséquence le préjudice moral subi du fait d’un internement arbitraire d’une journée et du long délai pour obtenir la décision du juge des libertés et de la détention (plus de 3 mois après le dépôt de la requête) est évalué à 2 000 euros (CA Paris, 1re ch. A, no 05/11135, 14 févr. 2006, M. Radosav Krgovic c/ M. le préfet du Cher)
L’hospitalisation d’office reste une mesure privative de liberté dont la mise en œuvre est délicate.

De plus, l’article 19 du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance (Cf. Rapport établi par Carole RIVALAN, Présidente de l'UJA de Marseille et responsable de la Commission pénale de la FNUJA sur ce projet ) présenté devant le Sénat par Nicolas SARKOZY le 28 juin 2006 prévoit la création d’un fichier national des mesures d’hospitalisation d’office, placé sous l'autorité du ministre chargé de la santé et destiné à améliorer le suivi et l'instruction des mesures d'hospitalisation d'office. Les données sont conservées pendant toute la durée de l'hospitalisation et jusqu'à la fin de la cinquième année suivant la fin de l'hospitalisation.
Le représentant de l'État dans le département ou, à Paris, le préfet de police, ainsi que les agents des services de l'État individuellement désignés et dûment habilités par eux, peuvent accéder directement, par des moyens sécurisés, au traitement mentionné au premier alinéa.
L'autorité judiciaire est destinataire des données enregistrées dans ce traitement.
Un garde-fou est instauré par l’interdiction de mise à disposition, rapprochement ou interconnexion avec d'autres traitements de données à caractère personnel
Ce fichier sera notamment utilisé lors des demandes de délivrance de permis d’armes.

Il existe déjà des fichiers mais ces derniers sont crées de manière facultative par les DDASS.

Le projet de loi vise à une intégration nationale obligatoire de ces fichiers et à en autoriser l’accès aux préfets et juges.

L’article 21 de ce même projet donne compétence aux maires (et à Paris aux commissaires de police) pour procéder à une hospitalisation d’office au vu d’un certificat ou d’un avis médical. En effet, actuellement, près des deux tiers des demandes d’hospitalisation d’office sont exprimées par les maires (dans le cadre des procédures d’urgence). Ce nouveau projet de loi permettrait donc aux maires de procéder à une hospitalisation d’office sans qu’aucune urgence soit nécessaire. Cependant, il ne peut s’agir que de personnes dont les troubles mentaux nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte de façon grave à l'ordre public Les maires doivent informer le préfet dans les 24 heures.

L’article 22 de ce même projet prévoit que le directeur de l’établissement psychiatrique transmette au préfet un certificat médical dans les 24h puis 72h justifiant la mesure prise par le maire.

L’article 24 prévoit la fin de l’hospitalisation sur l’avis favorable conjoint de 2 experts psychiatres nommés par le préfet sur la liste des experts près la Cour d’appel du ressort de l’établissement.

L’examen du projet de loi, adopté par le Sénat le 21 septembre 2006 a été discuté et confirmé par l’Assemblée nationale le 5 décembre 2006. Les professionnels du milieu médical et associations de famille dénoncent une atteinte à la dignité des malades, une remise en question du secret professionnel et un glissement du contrôle des juges vers un contrôle administratif et réclament le retrait de ces dispositions.

Modifier les dispositions du Code de santé publique notamment les articles L. 3213-1 et suivants relatifs à l’hospitalisation d’office dans une loi de prévention de la délinquance peut donner lieu à un amalgame entre troubles mentaux, dangerosité et délinquance.

Il semble dès lors indispensable de parfaitement distinguer les mesures privatives de liberté entre elles et d’encadrer plus strictement l’hospitalisation d’office afin d’endiguer un possible contentieux à venir.

Pour cela, il a été procédé à une séparation du volet santé mentale de la loi sur la prévention de la délinquance :
Les députés, notamment UMP par leur président Bernard Accoyer, ont autorisé jeudi 23 novembre 2006 le gouvernement à réformer par ordonnance la loi de 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d’hospitalisation, grâce à un amendement introduit dans le projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l’organisation de certaines professions de santé et à la répression de l’usurpation de titres et de l’exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique. Les sept articles, traitant du chapitre santé mentale, qui figurent dans le projet de loi sur la prévention de la délinquance, seront tout de même discutés et votés.

Ce projet de loi, qui comporte désormais 19 articles, a pour objet principal de ratifier l’ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005, prise sur le fondement de la loi du 9 décembre 2004 de simplification du droit.

Le texte de cette ordonnance simplifie l’organisation et le fonctionnement des ordres des professions de santé et harmonise les dispositions répressives applicables aux infractions d’usurpation de titre et d’exercice illégal des professions réglementées (article 1er).
Les articles 2 à 10 de ce projet modifient ou complètent le Code de la Santé publique

Parmi la quinzaine d’amendements adoptés, on signalera notamment:

  • un amendement du Gouvernement l’habilitant à prendre par ordonnance, dans un délai resserré de deux mois, des dispositions législatives relatives aux soins psychiatriques sans consentement. Cette mesure permettra de disjoindre les articles 18 à 24 du projet de loi sur la prévention de la délinquance, ce qui était une demande des professionnels de la santé mentale, et de mener à son terme la réforme globale de la loi du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d’hospitalisation, attendue par l’ensemble des professionnels et des associations de familles (article 12 nouveau).

Les inquiétudes de la FNUJA sur le projet de loi

Ce projet de loi devrait être examiné par les sénateurs incessamment sous peu, en vue d’une adoption définitive avant la fin de la législature. D’ores et déjà les jeunes avocats s’inquiètent des mesures nouvelles suivantes (Cf. Rapport établi par Carole RIVALAN, présidente de l'UJA de Marseille et responsable de la Commission pénale de la FNUJA sur ce projet):

• La systématisation des fichiers
• La possibilité de rétention de la personne, et ce sans avis médical, pour une durée maximale de 72 heures
• L’extension de la possibilité pour le parquet de saisir le préfet en cas de classement sans suite, sans précision du contenu du dossier pénal (expertise dans le cadre de la garde à vue obligatoire ?)
• L’absence de précision sur la dangerosité de la personne
• Le « pointage » mensuel obligatoire en matière de récidive légale

Soliman LE BIGOT, Secrétaire général de la FNUJA - slebigot@lbmavocats.com


Loïc Dusseau