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LOPPSI 2 : les Sages infligent un sérieux revers au gouvernement


Saisi de la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (dite LOPPSI 2) votée début février afin de renforcer l’arsenal répressif contre la délinquance et la criminalité, le Conseil constitutionnel a par sa décision n°2011-625 DC du 10 mars dernier retoqué pas moins de 13 articles de ce texte portant pour l’essentiel sur la délinquance des mineurs et la récidive. Retour sur la « plus lourde décision de censure de la Vème République » (1) présentée dans les médias comme un revers d’autant plus sévère pour le gouvernement qu’elle intervient au lendemain de la suppression par l’Assemblée nationale de l’extension de déchéance de la nationalité dans le cadre de l’examen du projet de loi sur l’immigration.



LOPPSI 2 : les Sages infligent un sérieux revers au gouvernement

I – Les principales dispositions validées


Parmi les dispositions les plus controversées du texte figurait le filtrage d’internet, ce que la « communauté numérique » a qualifié de « blocage d’internet sans juge » et d’atteinte à la liberté de communication, à savoir la possibilité d'interdire par une autorité administrative l'accès aux sites diffusant des images pédopornographiques (art. 4 de la loi). Un dispositif que le Conseil constitutionnel a néanmoins validé, estimant que tendant à la protection des internautes et pouvant être contesté « à tout moment devant le juge compétent, y compris en référé », il assure « entre la sauvegarde de l'ordre public et la liberté de communication une conciliation qui n'est pas disproportionnée ».

Reprenant sa jurisprudence du 9 août 2007 (loi sur la récidive), le Conseil a également jugé conforme à la Constitution l'article 37-I de la loi qui fixe des peines planchers d'au moins 18 mois pour certains faits particulièrement graves (délits de violences volontaires avec circonstances aggravantes). Idem pour l'article 38 de la loi étendant aux auteurs des meurtres ou assassinats sur toute personne dépositaire de l'autorité publique les dispositions relatives à une condamnation par la cour d'assises à une période de sûreté de 30 ans ou à la réclusion criminelle à perpétuité : le Conseil a validé ces dispositions compte tenu des pouvoirs du tribunal de l'application des peines.

Ont enfin été jugés conformes à la Constitution les articles 60 et 61 relatifs aux interdictions de déplacement individuel ou collectif de supporters lors d'une manifestation sportive. Des dispositions qui trouvent en partie leur origine dans le décès d’un supporter parisien lors de PSG-OM en février 2010. Les décisions ministérielle ou préfectorale en la matière, soumises au contrôle du juge administratif, « doivent être justifiées par la nécessité de sauvegarder l'ordre public et ne pas porter une atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et de venir » ont toutefois précisé les Sages de la rue de Montpensier.


II – Les dispositions censurées


Le Conseil constitutionnel a censuré certaines dispositions de la loi dont il avait été saisi par les requérants (A), et d’autres dont il a procédé à l’examen d’office (B).


A/ S’agissant tout d’abord des dispositifs de vidéosurveillance (art.18 de la loi), si le Conseil a validé leur mise en œuvre sur la voie publique par des autorités publiques, il a en revanche censuré la possibilité de déléguer à des personnes de droit privé l'exploitation et le visionnage de la vidéoprotection, en ce qu’elle permettait « de confier à des personnes privées la surveillance générale de la voie publique » et ainsi de leur « déléguer des compétences de police administrative générale inhérentes à l'exercice de la force publique ».

La possibilité d’étendre les peines planchers aux mineurs (art. 37-II) avait fait couler beaucoup d’encre. Le Conseil constitutionnel l’a jugée contraire aux exigences constitutionnelles en matière de justice pénale des mineurs. Les mêmes raisons ont conduit les Sages à censurer également la possibilité pour le procureur de la République de convoquer directement un mineur par un OPJ devant le tribunal pour enfants sans saisir au préalable le juge des enfants (art. 41) : ne distinguant pas selon l'âge de l'enfant, l'état du casier judiciaire et la gravité des infractions poursuivies , elle ne garantit pas que « le tribunal disposera d'informations récentes sur la personnalité du mineur lui permettant de rechercher son relèvement éducatif et moral ».

Enfin, si l'article 43 qui institue la possibilité pour le préfet de prendre une décision de « couvre feu » pour les mineurs (de 23 heures à 6 heures) est validé, le tribunal des enfants pouvant prononcer la même mesure à l'encontre d'un mineur, en revanche, le paragraphe III de l'article 43 est retoqué : il punissait d'une peine contraventionnelle le fait pour le représentant légal du mineur de ne pas s'être assuré du respect par ce dernier de ce « couvre feu » collectif ou individuel. Le Conseil constitutionnel a estimé qu’il permettait ainsi « de punir le représentant légal pour une infraction commise par le mineur », ayant « pour effet d'instituer, à l'encontre du représentant légal, une présomption irréfragable de culpabilité ».

Les 9 Sages ont également censuré l’interdiction de la revente en ligne, pour en tirer un bénéfice, de billets d'entrée à une manifestation qu'elle soit culturelle, sportive ou commerciale, sans accord préalable des organisateurs (art. 53). Une mesure fondée sur « des critères manifestement inappropriés à l'objectif poursuivi » d'éviter la présence de certains supporters lors de compétitions sportives. Dès lors elle « méconnaissait le principe de nécessité des délits et des peines ».

Autre disposition sensible rejetée: la possibilité accordée au préfet de procéder à l'évacuation forcée de terrains occupés illégalement par d'autres personnes (art. 90). Visant surtout les camps illicites de Roms, elle permettait de procéder dans l'urgence, à toute époque de l'année, à « l'évacuation, sans considération de la situation personnelle ou familiale, de personnes défavorisées et ne disposant pas d'un logement décent ». Le Conseil a estimé qu’elle opérait « une conciliation manifestement déséquilibrée entre la nécessité de sauvegarder l'ordre public et les autres droits et libertés ».

L'article 92 étendait quant à lui à des agents de police municipale la possibilité de procéder à des contrôles d'identité. Or ces agents, « qui relèvent des autorités communales, ne sont pas mis à la disposition des officiers de police judiciaire » eux-mêmes placés sous le contrôle direct et effectif de l'autorité judiciaire. Une disposition jugée en cela contraire à l’article 66 de la Constitution.

Concernant enfin le droit des étrangers, la LOPPSI 2 prévoyait que des salles d'audience puissent être aménagées au sein des centres de rétention administrative (art. 101). Cette mesure, « inappropriée à la nécessité rappelée par le législateur de statuer publiquement », est jugée là encore contraire à la Constitution.


2/ Enfin, parmi les dispositions dont le Conseil s’est saisi d'office pour les censurer, on relèvera :

- L'article 10, qui créait un fonds de concours pour la police technique et scientifique alimenté par les assureurs : « l'utilisation des crédits des fonds de concours doit (en application de l'article 17 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF)), être conforme à l'intention de la partie versante ». Selon le Conseil constitutionnel, l'accomplissement des missions de police judiciaire ne saurait être soumis à la volonté des assureurs.

- L'article 32, qui établissait un régime d'autorisation de l'activité privée d'intelligence économique, dont la méconnaissance pouvait être punie de peines d'amende et d'emprisonnement : les Sages ont estimé que son imprécision, notamment dans la définition des activités susceptibles de ressortir à l'intelligence économique, méconnaissait le principe de légalité des délits et des peines.

- L'article 91, qui accordait la qualité d'agent de police judiciaire à certains policiers municipaux. Ceux-ci n'étaient toutefois pas, dans le même temps, mis à la disposition des OPJ. Dès lors, pour les mêmes raisons que celles qui avaient conduit à la censure de l'article 92, le Conseil constitutionnel l’a censuré.

- l'article 90 § III définissait une peine d'occupation illicite du domicile d'autrui, et le paragraphe II de l'article 123 complétait l'article 362 du CPP (délibération des cours d’assises). Ces deux dispositions avaient été adoptées en seconde lecture en méconnaissance de la « règle de l'entonnoir » fixée à l'article 45 de la Constitution. Adoptés selon une procédure inconstitutionnelle, ils ont été censurés.

Reste maintenant à savoir si le gouvernement en restera là. En attendant, le ministre de l’Intérieur s’est félicité par un communiqué du 11 mars que le Conseil constitutionnel ait validé « l'essentiel de la LOPPSI 2 qui permet aux forces de police et de gendarmerie de disposer de nouveaux moyens technologiques pour renforcer la sécurité des Français et amplifier la politique conduite par le Gouvernement : l'aggravation des sanctions pénales des principaux crimes et délits, dont nos concitoyens sont victimes, est confirmée ». Relevant que « seules 13 dispositions ont été invalidées sur les 142 que contient la loi », Claude Guéant a indiqué que « les grandes orientations proposées par le Président de la République dans son discours de Grenoble du 30 juillet 2010 sont validées ».


(1) Patrick Roger, Loi sur la sécurité : sévère rappel à l’ordre des « sages », le Monde du 12 mars 2011
Lundi 14 Mars 2011
Eric BONNET

     

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