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DU BON USAGE DE LA COLLABORATION LIBERALE !

Article paru dans le Jeunes Avocats Magazine n°104 - 4ème trimestre 2009



Cass. 1ère 14 mai 2009

DU BON USAGE DE LA COLLABORATION LIBERALE !
Commençons par le rappel de la règle.

Le régime juridique de la collaboration libérale relève de la Loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme des certaines professions judiciaires et juridiques et du Décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat. Il faut aussi citer la Loi n°2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises qui a entendu ce statut à d’autres professions en reprenant sa définition et ses grands principes directeurs.

En vertu de l’article 21-1 de la Loi du 31 décembre 1971, le Conseil National des Barreaux (CNB) unifie par voie de dispositions générales les règles et usages de la profession d’avocat. C’est ainsi que par les décisions à caractère normatif n°2005-003 et n°2007-001 (JORF du 11 août 2007 p. 13.503), le CNB a adopté le Règlement Intérieur National (RIN) dont l’article 14 est consacré au statut du collaborateur libéral ou salarié.

Aux termes des ces articles, la collaboration est un mode d’exercice professionnel exclusif de tout lien de subordination, par lequel un avocat consacre une partie de son activité au cabinet d’un ou plusieurs avocats. Le collaborateur libéral peut compléter sa formation et peut constituer et développer une clientèle personnelle.

Le contrat de collaboration doit, à peine de nullité, être établi par écrit et préciser : sa durée, indéterminée ou déterminée, en mentionnant dans ce cas son terme et, le cas échéant, les conditions de son renouvellement / les modalités de la rémunération / les conditions d'exercice de l'activité, et notamment les conditions dans lesquelles le collaborateur libéral peut satisfaire les besoins de sa clientèle personnelle / les conditions et les modalités de sa rupture, dont un délai de préavis.

Poursuivons par l’explication de textes.

Le « jeune » qui débute dans la profession d’avocat a plusieurs voies, subies ou choisies. Depuis la réforme de la formation initiale, un diplômé de l’Ecole des Avocats est avocat de plein exercice avec la faculté de s’installer « à son compte » sans autre patron que lui-même. Il peut aussi, et c’est la voie fort heureusement prise par la majorité d’entre eux (pour n’évoquer que les diplômés qui décident d’exercer la profession d’avocat), devenir le collaborateur d’un autre avocat. Il travaille alors les dossiers confiés par ce « confrère », au nom de ce dernier.

En 1991, la fusion avec les conseils juridiques a ouvert la profession d’avocat sur le salariat des collaborateurs, inconnu jusqu’alors. Depuis, les deux statuts coexistent avec pour critère essentiel (mais pas unique) de différenciation : la constitution de clientèle, possible pour le collaborateur libéral, interdite pour le collaborateur salarié.

Le statut de collaborateur libéral, pour ancien qu’il soit, n’en demeure pas moins original. Dans son mode d’exercice, l’avocat collaborateur libéral est un professionnel indépendant qui facture des honoraires, sur lesquels il est assujetti aux cotisations sociales qui restent à sa charge. Sa situation se rapproche de celle d’un entrepreneur sous traitant d’un autre entrepreneur. Le confrère auprès duquel il collabore peut être son « meilleur » client dans la mesure où ce qu’il facture chaque mois constitue souvent en début d’activité la seule source de ses recettes.

A certains égards, et c’est ce qui fait sa particularité, cette collaboration donne l’image d’une double schizophrénie professionnelle. L’avocat collaborateur doit se consacrer aux dossiers confiés par son « patron » tout en pensant à développer sa propre clientèle en traitant ses dossiers personnels. Pour sa part, l’avocat « patron » doit assurer la transmission de son savoir-faire pour le traitement de ses dossiers sans oublier que son collaborateur peut prendre un jour son envol.

Pourtant, il ne faut pas se fier à cette pathologie apparente. Cette organisation est au contraire un équilibre subtil de responsabilités et de devoirs, individuels et collectifs. Elle repose sur l’idée, le ferment, de la confraternité, expression déontologique de la solidarité intergénérationnelle entre avocats. La collaboration libérale s’entend d’un passage initiatique, d’une période de transition autorisant l’acquisition de l’expérience suffisante pour prendre le chemin de l’indépendance par l’installation ou l’association.

Encore faut-il que l’équilibre soit respecté de part et d’autre. La pratique présente bien des contorsions indignes du schéma idéal présenté plus haut.

Parmi les dysfonctionnements enregistrés ces dernières années, le contentieux de la requalification du contrat de collaboration libérale est sans doute le plus emblématique même s’il ne constitue pas l’essentiel des difficultés qui peuvent naître lors de l’exécution ou de la rupture du contrat. Il surgit à intervalle régulier, le plus souvent lorsque des cabinets, sous tension économique, se croient autorisés à se séparer, sans ménagement, de collaborateurs qui se retrouvent rapidement sans garantie ni protection sociale alors que leur relation de travail était en tous points identiques à celle d’un salarié.

Au fil des décisions rendues, les juridictions recherchent la liberté d’action du collaborateur au sein de la structure d’exercice (présence d’un lien de subordination et intégration dans une structure organisée) et les conditions matérielles offertes laissant la possibilité au collaborateur de développer sa clientèle personnelle (cf. notamment CA PARIS – 1ère Ch A - 2 arrêts - 25 février 2003, note Thierry WICKERS GP 27/29 juillet 2009 p.13 et suivantes / CA PARIS – 1ère Ch A - 11 janvier 2005 – non publié)


Arrêt sur image jurisprudentielle.

Par un arrêt rendu le 14 mai 2009, la 1ère Chambre Civile de la Cour de Cassation a donné une nouvelle dimension à la question de la requalification en se prononçant par des motifs d’une rare précision sur les contours de la collaboration libérale.

Contrairement à ce que certains commentaires ont pu suggérer , la Cour de Cassation n’a pas ouvert la voie à la suppression de la collaboration libérale mais bien au contraire en a renforcé les contours.

La Cour de Cassation a adopté une approche pragmatique et équilibrée de la collaboration libérale au service de la protection du jeune avocat.

Cette décision mérite une attention toute particulière. Elle nous renvoie aux fondements même de la relation de travail entre avocats. La recherche d’équilibre entre individus dont on présume qu’ils sont dotés d’intelligence fixe le débat de la responsabilité individuelle et collective. Chacun doit demeurer libre de ses choix et responsable de ses engagements.

A l’instar du médecin de famille qui vous ausculte les poumons en vous demandant de répéter « 33 », la Cour de Cassation vient de créer la règle « 3.3 » : 3 principes et 3 repères. Pour un corps sain, la Cour nous livre quelques préconisations d’une vie équilibrée pour le bon usage de la collaboration libérale entre avocats.

3 principes :

1 – l’existence d’une réelle clientèle personnelle. La Cour nous rappelle que la clientèle personnelle est exclusive du salariat. C’est la règle. Mais pragmatique, la Cour ne se contente pas de la preuve de quelques dossiers pour considérer que la condition de l’existence d’une clientèle est constituée mais, bien au contraire, estime que « le traitement d’un nombre dérisoire de dossiers propres à l’avocat ne font pas obstacle à la qualification de ce contrat en contrat de travail ».

2 – un engagement équilibré et conscient. Sans faire de psychologie de comptoir, la Cour donne une emprunte subjective à la relation de travail marqué par un engagement réciproque. Chacun est acteur de son histoire. Cela va de soi, et sans remettre en cause la nécessité de protéger la partie la plus « faible », la Cour de Cassation fixe le principe de cette protection « lorsqu’il est établi que cette situation (un nombre dérisoire de dossiers personnels, en l’occurrence 5 dossiers en 5 ans de collaboration) n’est pas du fait de l’avocat collaborateur ».

3 – les conditions d’exercice doivent permettre un développement effectif de la clientèle personnelle. L’énoncé de ce troisième principe suffit à sa compréhension. Néanmoins, reste à savoir ce que signifie le développement « effectif » dans l’hypothèse pas seulement théorique de l’avocat qui souhaite développer, sans succès. La réponse est sans doute dans les repères.

3 repères :

1- Disponibilité horaire : la Cour se pose en régulatrice sociale en rappelant les équilibres en place. Le cabinet d’accueil a le devoir d’accepter le traitement des dossiers personnels des collaborateurs sur le temps de présence journalier, et l’avocat collaborateur a le droit d’avoir une vie personnelle. Elle sanctionne par voie de conséquence que « la plupart des rendez-vous et appels téléphoniques, nécessaires au traitement de ces rares dossiers, se passaient hors du cabinet et après 20 heures ou pendant le week-end »


2 - Disponibilité matérielle : c’est le pendant du premier repère. L’avocat collaborateur doit pouvoir bénéficier d’une organisation des locaux et de la mise à disposition d’un matériel lui permettant d’exercer normalement la profession et donc de développer ses contacts et sa clientèle personnelle. La Cour sanctionne « le partage de bureau avec un autre avocat pouvant difficilement trouver un lieu pour recevoir ses propres clients » et « une salle de réunion ne permettant pas l’accès à l’outil informatique ni au téléphone ».


3- Attitude générale du cabinet d’exercice : la recherche porte ici sur les causes du nombre dérisoire de dossiers personnels de l’avocat collaborateur : choix personnel ou attitude du cabinet d’accueil. La Cour retient les témoignages versés pour sanctionner ce que ressemblait fort à une organisation volontaire excluant toute initiative de l’avocat collaborateur allant jusqu’à le priver de l’indépendance technique.

La profession oublie sa jeunesse depuis quelques années. La suppression du stage et l’allongement de la formation initiale ont aggravé le phénomène. La responsabilité des anciens dans l’accueil des plus jeunes, par les leviers de la solidarité et de la transmission, a été diluée dans le bain de la rentabilité et du business. La Cour de Cassation vient de redonner un peu d’humanité dont la profession devrait se nourrir.


Par Romain CARAYOL

Lundi 18 Janvier 2010
Romain CARAYOL

     

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