UJA DU VAL D'OISE

La déjudiciarisation


PLATEFORME DE REFLEXIONS DESTINEES A AMELIORER LE
FONCTIONNEMENT DE LA JUSTICE

I- PREAMBULE :

Le chef de l’Etat et le gouvernement ont initié un certain nombre de projets de réformes tels que : la carte judiciaire, la déjudiciarisation de certains pans d’activités, la dépénalisation au profit de commissions administratives (délits routiers) ou de juridictions civiles (droit des affaires), entre autres.

Après qu’ait été émise l’idée de confier aux notaires les divorces par consentement mutuels « simples » (ni enfant, ni patrimoine), le Barreau du Val d’Oise a décidé, en Assemblée Générale, de suivre le mouvement de grève nationale préconisée par le Conseil National des Barreaux le 19 décembre 2007.

Depuis lors, comme un certain nombre d’autres barreaux français, il est en grève sans discontinuer, selon des modalités qu’il révise régulièrement.

Ne se contentant pas de protester, il entend aussi formuler des propositions concrètes destinées à améliorer le fonctionnement de la Justice et contribuer ainsi, autant que faire se peut, aux travaux confiés à la Commission présidée par le recteur Guinchard.

Ces propositions s’orientent autour de différents axes ci-après détaillés :


II – LES PROPOSITIONS :


II.1/ -DROIT DE LA FAMILLE :

Il est proposé de créer un TRIBUNAL DE LA FAMILLE, nécessairement rattaché au Tribunal de Grande Instance, qui connaîtrait des contentieux touchant de près ou de loin à la famille tels que, notamment :

 DIVORCES
 PROCEDURES POST-DIVORCE
 PENSIONS ALIMENTAIRES
 CONTENTIEUX RELATIF AUX TUTELLES
 CONTENTIEUX RELATIF AU PACS OU AU CONCUBINAGE
 CONTENTIEUX RELATIF AUX ENFANTS NATURELS
 CHANGEMENTS DE REGIMES MATRIMONIAUX
 CONTENTIEUX RELATIF AUX SUCCESSIONS
 CONTENTIEUX DE LA FILIATION (RECONNAISSANCE OU CONTESTATION DE PATERNITE)
 ETAT ET CAPACITE DES PERSONNES

Outre le fait de se conformer ainsi au droit européen et international, la création de cette juridiction spécialisée serait de nature à permettre l’accélération du traiment des dossiers, ce d’autant qu’il est proposé une modification de certaines des procédures dont elle aurait à connaître.


II.1.1 – LA PROCEDURE DE DIVORCE PAR CONSENTEMENT MUTUEL :

Toute idée de déjudiciarisation ou de « privatisation » est à bannir dans ce domaine.

De même, celle qui reviendrait à « payer » son juge.

Les principes qui doivent prévaloir sont :

 La garantie d’impartialité de celui qui prononce le divorce
 Le respect du principe du contradictoire
 L’absence de conflit d’intérêts
 Le contrôle de l’équilibre de la convention par un tiers désintéressé, indépendant et compétent garant du respect des droits de chacun
 La nécessaire égalité des citoyens devant la Loi et donc la nécessité d’être assisté d’un Conseil

Ces principes doivent se conjuguer avec la nécessité d’une Justice moderne, efficace et rapide chaque fois que cela est possible.

Ainsi, le principe pourrait être adopté, en complément de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 et de ses décrets d’application n° 2004-1157 et 2004-1158 du 29 octobre 2004, de simplifier la procédure de divorce par consentement mutuel en allégeant la tâche du Juge de la façon suivante :

 Dépôt d’une requête et convention par un ou deux avocats selon les cas (voir supra) et préparation du jugement
 Pas de comparution des époux
 Validation par le juge qui confère au jugement force exécutoire
 En cas de difficulté ou sur simple demande du Juge, comparution des parties et de leurs conseils
 Obligation pour les époux d’avoir chacun un conseil lorsqu’il y a des enfants ou lorsqu’il existe un patrimoine (état liquidatif) supérieur à une somme qui pourrait être fixée par décret et dont le montant actuel pourrait être de cinq mille euros

D’évidence, ces procédures qui étaient déjà peu chronophages pour les magistrats depuis les textes récents, seraient très sensiblement accélérées et permettraient, sous cette forme, d’alléger également la tâche des greffes.

L’expérience récente de l’application des textes précités ne permet pas un recul suffisant pour suggérer, en l’état, des modifications relativement aux autres procédures de divorces


II.1.2 - PENSIONS ALIMENTAIRES :

A cet égard, la procédure pourrait être la même que pour les divorces par consentement mutuel lorsqu’il y a accord des parties de façon à soulager ici également la tâche des magistrats et greffiers.


II.1.3 - CHANGEMENTS DE REGIMES MATRIMONIAUX :

Selon la même logique, les changements de régimes matrimoniaux devraient être homologués par le Juge comme tel était le cas avant la promulgation des textes récents.


II.1.4 - INSTANCES MODIFICATIVES APRES DIVORCE :

Le principe doit être, ici, le même que celui proposé dans le cadre du divorce par consentement mutuel lorsqu’il y a accord des parties.

A défaut, il conviendrait de saisir le Tribunal de la Famille statuant de façon contentieuse.

Cette saisine interviendrait sur requête du conseil du demandeur et ne nécessiterait pas la comparution des parties.

La comparution des parties demeurerait possible mais constituerait une exception, sur simple demande du tribunal.

Celui-ci statuerait à juge unique, sauf si l’une des parties entendait demander la collégialité, sous réserve de l’avoir formulé dans sa requête initiale.


II.2/ - CONSEIL DE PRUD’HOMMES :

Cette juridicition connaît un taux d’appel parmi les plus élevés.

Les délais d’audiencement et de jugement, surtout dans les zones géographiques à forte densité en entreprises, sont anormalement longs.

De l’aveu même des conseillers qui se sont exprimés lors des rentrées solennelles récentes, les procédures de conciliation connaissent un « succès très relatif ».

D’une part, lorsque les parties sont assistées d’un conseil, l’audience de conciliation voit son intérêt encore plus limité dans la mesure où elles ont d’ores et déjà pris elles-mêmes, par l’intermédiaire de leurs conseils, l’initiative de pourparlers en vue de la recherche d’une transaction qui n’a manifestement pas pu aboutir… .

D’autre part, les formations dispensées aux conseillers prud’hommes avant leur prise de fonction apparaissent de qualité très inégale, ce qui expliquerait peut-être, un taux d’appel conséquent et l’encombrement des chambres sociales des Cours d’Appel en résultant, ce qui a valu à la FRANCE au moins une condamnation par la Cour Européenne des Droits de l’Homme relativement au « délai raisonnable » dans lequel la juridiction saisie doit traiter un litige.

Prenant acte de cette situation et des réformes à intervenir en matière de droit du travail, il est proposé d’y remédier, notamment par les mesures suivantes :

 Suppression de l’audience de conciliation devant le conseil de prud’hommes
 Assistance ou représentation obligatoire par avocat des parties devant cette juridiction
 Obligation pour les conseils des parties, à peine de radiation de l’instance, de justifier d’avoir tenté un rapprochement amiable préalablement à l’audience (de jugement) par la production d’une attestation sur l’honneur des parties.
 Possibilité de demander l’homologation d’un accord ou le désistement d’instance et d’action
 Echevinage de la juridiction qui pourrait, dès lors, être composée d’un magistrat professionnel, d’un représentant des salariés et d’un représentant des employeurs.


II.3/ - TRIBUNAL DE COMMERCE :

A différentes reprises il a été envisagé de modifier la composition de cette juridiction pour des motifs comparables à ceux qui précèdent et de multiples raisons rappelées par l’enquête parlementaire conduite il y a quelques années (rapport n° 1038 du 2 juillet 1998 - JO 3 juillet 1998).

Sans nécessairement recourir aux procédures et compositions en vigueur en Alsace-Moselle (qui ont cependant montrer leur fiabilité), une réforme doit être mise en œuvre.

A cet égard, le Conseil National des Barreaux avait, en 2001/2002, formulé un certain nombre de propositions fort intéressantes.

Dès lors, aux mêmes causes, il y a lieu d’appliquer les mêmes remèdes conduisant notamment à :

 Intégrer un magistrat professionnel dans la composition collégiale des tribunaux de commerce et, notamment, en matière de procédure collective
 Envisager une co-présidence de la juridiction (juge consulaire/magistrat professionnel)
 Intégrer dans les chambres commerciales des Cours d’Appel un magistrat consulaire désigné par ses pairs.
 Réformer la profession de mandataire judiciaire (cf propositions formulées par le Conseil National des Barreaux en 2001/2002)

II.4/ - REPRESENTATION OBLIGATOIRE :

L’égalité des citoyens devant la Loi commande que ceux-ci puissent effectivement bénéficier d’une défense de qualité .

Dès lors, chacun doit systématiquement être assisté ou représenté dans le cadre des instances judiciaires.

Quelle que soit la nature du procès, intérêts financiers non négligeables sont en jeu, en tous cas aux yeux de ceux qui les intentent comme aux yeux de ceux qui les subissent.

Cette assistance ou représentation obligatoire, parmi ses mérites multiples, a, notamment, l’avantage de faciliter la tâche du Juge et du Greffe.

En effet, la présence systématique d’un conseil devrait conduire à :

 Une approche juridique précise et étayée
 La définition des problèmes de droit
 La remise d’un dossier rigoureux
 Une défense équilibrée des parties
 Le recours limité, du fait de ce qui précède, au Juge d’appel

Cette démarche doit pouvoir être mise en œuvre dans toutes les procédures et devant toutes les juridictions, a fortiori lorsqu’elles statuent en dernier ressort, ce qui aurait aussi pour effet de limiter les pourvois en cassation.

Elle permet aussi d’être en totale conformité avec la Convention Européenne des Droits de l’Homme.


II.5/ - VENTES IMMOBILIERES :

Aujourd’hui, la FRANCE talonne la GRECE au titre du pays le plus cher de l’Union Européenne en matière de coût d’acte lors d’une vente immobilière.

Ces ventes sont l’œuvre d’une profession qui en a le monopole, les notaires.

Ce monopole est actuellement remis en cause, tant par la Commission de BRUXELLES que par le rapport sur la Libération de la Croissance Française établi sous la présidence de Jacques ATTALI.

Par conséquent, l’évolution prévisible du monde judiciaire apparaît devoir conduire à une fusion des professions d’Avocat et de Notaire, à l’instar de celle résultant de la loi de 1971 relative aux Avoués ou de celle du 31 décembre 1990 relative aux Conseils Juridiques, dans le but de réaliser en FRANCE, comme cela existe en ALLEMAGNE, UNE grande profession du Droit.


Une formation commune entrainerait nécessairement des économies d’échelle profitables à tous.

Rien des actes établis par les notaires n’est étranger à l’Avocat, a fortiori à ceux dont c’est déjà, pour partie, la spécialisation.

Dans l’attente que se concrétise cette grande profession du Droit, rien ne s’oppose (si ce n’est, peut-être, les notaires…) à ce que les ventes immobilières puissent être réalisées par des avocats.

Ceci participerait nécessairement tant à l’augmentation du pouvoir d’achat des Français qu’à la croissance du pays.


II.6/ - DROIT PENAL :

 Toute tentation de déjudiciarisation, notamment au profit de l’administration, constituerait une erreur.

Il en serait ainsi des délits routiers, à l’heure du permis à points et quand le gouvernement multiplie les implantations de radars et promulgue des textes sur le « grand excès de vitesse ».

En 2007, 27 millions d’amendes ( !) ont été infligées pour un montant de 883 millions d’euros (source : Ministère du Budget).

Pendant cette même période, 88698 permis de conduire ont été invalidés (source : Ministère de l’Intérieur) soit 29% de plus qu’en 2006, sans compter les milliers de points enlevés chaque année à nos concitoyens, souvent pour de très faibles excès de vitesse (on pourrait aussi s’interroger sur les zones d’implantation des radars très rarement accidentogènes et donc les véritables motivations du choix de leur emplacement…).

Aujourd’hui la suppression de points, la suspension, l’invalidation ou l’annulation du permis de conduire constituent une réelle atteinte à la liberté d’aller et de venir, de travailler, et devraient pouvoir donner lieu à des recours à la fois rapides et contradictoires devant le juge judiciaire.

On estime actuellement à près de trois millions les conducteurs circulant sans permis de sorte que tous les moyens doivent être mis en œuvre pour réduire ce nombre.

L’un de ces moyens apparaît être la représentation obligatoire par ministère d’avocat en matière pénale car l’on constate, statistiquement, qu’il semblerait que moins d’un contrevenant sur cinq soit assisté ou représenté !

De même, toute idée qui conduirait à « automatiser » la sanction, qui deviendrait purement administrative, sans personnalisation possible, doit être proscrite.

Chaque situation est particulière et mérite d’être appréhendée comme telle.

 Dans un esprit comparable, il serait question de dépénaliser le droit des affaires.

Comment pourra-t-on expliquer au voleur d’auto-radio qu’il encourt une peine d’amende et d’emprisonnement alors que le grand patron de multinationale ayant commis un abus de biens sociaux portant sur plusieurs millions d’euros ne pourrait être traduit devant un tribunal pénal?

Il n’y a, ici, aucune logique, voire, au contraire, une discrimination certaine selon la catégorie sociale concernée.

Pourquoi, dès lors, ne pas envisager de dépénaliser également tous les délits quelle qu’en soit la nature ?... .


III – CONCLUSION :

Les différents axes de propositions dégagés ici sont loin d’être exhaustifs ;

En effet, il pourrait également être abordé, par exemple, la question du Surendettement dont le juge n’aurait plus à connaître alors même que le système, s’il est perfectible, reste efficace et satisfaisant en l’état.

De même, la proposition de loi créant de nouveaux droits pour les victimes et améliorant l’exécution des peines mériterait des contributions de la profession d’Avocat par son représentant national.

Il en va de même pour le texte relatif à la rétention de sûreté.

Associer les avocats à l’élaboration des textes, en particulier lorsqu’ils sont susceptibles de bouleverser l’économie de leur profession, leur exercice professionnel et touchent aux libertés individuelles, n’est peut-être pas une idée totalement saugrenue… .


Pontoise, le 7 février 2008

LES AVOCATS AU BARREAU DU VAL D’OISE EN GREVE
Eric AZOULAY

Laure LUCQUIN
Rédigé par Laure LUCQUIN le 24/04/2008 à 19:09