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Le secret professionnel de l'avocat confronté au droit de la preuve

Mercredi 20 Décembre 2023

Une nouvelle atteinte au secret professionnel de l'avocat, cette fois portée par la Cour de cassation et sur le terrain civil. La première chambre civile a rendu un arrêt le 6 décembre par lequel elle estime que « le secret professionnel de l'avocat ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 » (Cass. 1re civ., 6 déc. 2023, n°22-19.285), ouvrant la voie à des saisies documentaires en dehors du cadre de l'article 56-1 CPP avec tout la latitude accordée aux mesure in futurum.

Une société commerciale, ayant pour activité l'accompagnement des entreprises dans la réduction de ses cotisations sociales, avait conclu une convention d'assistance juridique avec un cabinet d'avocat. Ce dernier était chargé de la vérification, au regard de la réglementation en vigueur, du bien fondé des cotisations réclamées par les organismes sociaux au titre des accidents du travail et maladies professionnelles. La société reprochait à l'avocat un détournement de clientèle et une rétention de dossier, et déposait plainte pour abus de confiance.

La société saisit sur requête le président du tribunal judiciaire sur le fondement de l'article 145 du CPC afin que soit désigné un huissier avec pour mission de se rendre au cabinet de l'avocat, assisté par un ou plusieurs experts informatiques indépendants, d'un serrurier et de la force publique pour y rechercher et prendre copie d'un certain nombre de documents en lien avec une liste d'anciens clients de la société commerciale. Le président fait droit à sa demande, la mesure est exécutée et l'avocat saisit le président du tribunal en rétractation de l'ordonnance. Le président dit n'y avoir lieu à rétractation, estimant que les informations dont la saisie étaient autorisées ne relevaient pas du secret professionnel de l'avocat.

La cour d'appel (CA Toulouse, 10 mai 2022, n°21/02889) infirme la décision, rétracte l'ordonnance et annule le procès verbal d'huissier réalisé en exécution de l'ordonnance. Elle considère que « aucun texte légal n'autorise la consultation ou la saisie des documents détenus par un avocat au sein de son cabinet en dehors de la procédure pénale de l'article 56-1 du code de procédure pénale » et que en autorisant au sein d'un cabinet d'avocat la consultation de dossiers, de conventions d'honoraires, la consultation des courriels et documents comptables professionnels de deux avocats « le juge a autorisé des mesures qui ne sont pas légalement admissibles en ce qu'elles portent atteinte au secret professionnel des avocats».

L'arrêt est cassé (Cass. 1re civ., 6 déc. 2023, n°22-19.285).

Cette décision s'inscrit dans une reconnaissance d'un droit à la preuve comme corollaire d'un droit au procès en visant l'article 6§1 de la CESDH. La Cour de cassation, et particulièrement la chambre sociale, s'était jadis montrée assez intransigeante quant à l'admissibilité des preuves enfreignant une liberté fondamentale (généralement la vie privée du salarié). Elle a depuis infléchi sa position (v. p. ex. Cass. soc., 25 nov. 2020, n°17-19.523) en recherchant un équilibre entre la production de la preuve et l'atteinte à la vie personnelle.


Il y a toutefois deux différence avec l'affaire de l'espèce.

De première part, les droits mis en balance n'ont pas les mêmes bénéficiaires à l'inverse de ce que l'on fait lorsque l'on admet la production d'une vidéo comme preuve contre un salarié et la vie privée de ce même salarié. Ici, et la Cour de cassation le rappelle d'ailleurs, l'avocat n'est pas le bénéficiaire du secret professionnel ; il n'en est que le gardien. C'est un droit bénéficiant aux clients de l'avocat qui se trouve mis en balance dans une affaire qui ne les concerne pourtant pas.

De deuxième part, il ne s'agit pas seulement de rendre recevable une preuve dont l'obtention serait douteuse, mais d'autoriser une mesure d'instruction judiciaire, ce qui est autrement plus attentatoire des libertés. Dans un cas, la liberté a déjà été compromise, non dans l'autre.


La Cour de cassation considère avec une grande souplesse la notion de « mesure d'instruction légalement admissible » au sens de l'article 145 du CPC, puisqu'il s'agit, nous dit-elle, de toutes  « mesures d'instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l'objectif poursuivi ». La formulation n'est pas tout à fait nouvelle, elle l'avait déjà employée, mais pour confirmer une décision qui avait rejeté la mesure d'instruction (Cass. 2e civ., 25 mars 2021, n° 20-14.309). Auparavant, elle avait posé comme condition que la mesure soit circonscrite dans le temps et dans son objet (Cass. 2e civ., 21 mars 2019, n° 18-14.705) ce qui lui permettait de prohiber les mesures s'apparentant à des « perquisitions civiles » (v. p. ex. Civ. 2e, 5 janv. 2017, n° 15-27.526). La limitation quant à l'objet et au temps étaient des conditions nécessaires, mais ne semblaient pas être des conditions suffisantes. Ainsi, la Cour de cassation a pu ajouter qu'il fallait en sus qu'il ne soit point commis d'atteinte à une liberté fondamentale (Cass. 2 civ., 8 février 2006, n°05-14.198) ou au secret professionnel (Cass. 1re civ., 11 juin 2009, n°08-12.742, il s'agissait du secret médical). Ces conditions ne semblent plus être nécessaires, l'atteinte est possible, mais seulement cantonnée à un contrôle de proportionnalité.

En autorisant tout, ou presque, sous seule réserve d'un contrôle de proportionnalité par le juge du fond, la Cour de cassation donne au juge civil des pouvoirs que l'on refuse de donner au juge pénal.

L'avenir dira quelles seront les conditions retenues comme suffisantes pour permettre une saisie documentaire exécutée en application de l'article 145 CPC au sein d'un cabinet d'avocat. La logique voudrait que l'encadrement soit au moins équivalent à celui prévu en matière pénale par l'article 56-1 CPP : présence du magistrat, du bâtonnier ou de son délégué, absence de saisie des documents relevant de l'exercice des droits de la défense, placement sous scellé des documents dont la régularité de la saisie est contestée, etc.

Restera également à résoudre un certain nombre de difficultés. Que deviennent les documents saisis, qui peut en prendre connaissance ? Qu'en est-il des documents couverts par le secret de l'instruction ? Une décision du tribunal judiciaire avait exclu qu'un juge puisse enjoindre au parquet de produire des pièces couvertes par le secret de l'instruction (TJ Paris, réf., 10 juill. 2020, n°20/52615, D. actu. 2 sept. 2020, obs. Kebir. D. 2021. 207, obs. Bretzner et Aynès).

Le seul salut, du point de vue du secret professionnel, est que la Cour de cassation a admis la saisie documentaire en ce qu'elle était « destinées à établir la faute de l'avocat ». Il faut espérer qu'elle censurera celle qui visera d'autres buts, et que les données que les clients confient à un avocat continuent de bénéficier de toute l'étendue du secret professionnel.


La FNUJA déplore les différentes atteintes qui sont faites au secret professionnel de l'avocat, que ce soit par l'introduction de nouvelles exceptions ou par sa banalisation avec la création d'un legal privilege. Ce nouvel atermoiement est rendu d'autant plus possible que le secret professionnel de l'avocat a été malmené.
 

Guillaume Isouard, Président de la commission déontologie