FNUJA
FNUJA
FNUJA | Fédération Nationale des Unions de Jeunes Avocats
Fédération Nationale des Unions de Jeunes Avocats

Lettre ouverte intersyndicale : La profession d'avocat contre la confidentialité des consultations des juristes d'entreprise

Mercredi 14 Février 2024

Mesdames et Messieurs les Sénatrices et Sénateurs,

Aujourd’hui, vous allez débattre d’une proposition de loi visant, à nouveau, à conférer une confidentialité aux consultations des juristes d’entreprise que certains qualifient de « legal privilege à la française ».

Nous, syndicats d’avocats, y sommes fermement opposés et vous demandons de rejeter cette proposition, même si elle venait à être amendée.

En premier lieu, nous ne sommes pas convaincus par la motivation d’une telle proposition.

Il est fait état d’une faible attractivité de la France pour les sièges juridiques, sans que cette assertion ne soit établie. La doctrine relève pour sa part que la poursuite de l’attractivité internationale du droit français est très fréquemment avancée pour justifier diverses réformes.¹

Mais même à supposer un besoin prégnant de confidentialité au sein du service juridique des entreprises, il ne nous apparaît pas
que la confidentialité projetée soit de nature à le satisfaire.

En droit interne, en excluant les matières pénale et fiscale, la confidentialité se trouve réduite à Peau de chagrin et chassée de là où elle est la plus impérative pour éviter l’auto-incrimination. En droit communautaire, la confidentialité n’est pas, en l’état actuel de la jurisprudence, opposable aux instances communautaires². Son efficacité en droit international est très incertaine au regard des exigences des différentes juridictions (notamment américaines) quant aux conditions d’opposabilité du legal privilege. Ainsi, les pays de Common law ne reconnaissent le plus souvent la confidentialité des avis et consultations qu’aux professions réglementées, ce qui n’est pas le cas du juriste d’entreprise. Aussi, la reconnaissance d’une confidentialité apparaît comme un trompe-l'oeil, tissant un piège aux entreprises qui y auront recours.

Les entreprises se verraient en revanche offrir un argument légal pour refuser, ou du moins retarder, la production de documents compromettant.
Enfin, nous craignons surtout un dévoiement de la notion de secret. Le secret professionnel, au rang duquel se trouve celui de la défense et du conseil, n’a pas été créé afin de dissimuler des informations à quiconque.
Il existe parce qu’il est nécessaire à l’établissement d’une relation de confiance entre une personne et un confident. Le secret est
institué pour garantir à celui qui recourt à un professionnel extérieur et indépendant que les informations privées, secrètes, confidentielles, ou incriminantes ne pourront être utilisées par quiconque ; ni par celui qui les reçoit, passible de sanctions disciplinaires pénales s’il les révèle, ni par personne d’autre, sous peine d’irrecevabilité.

Autrement dit, le secret professionnel n’existe pas pour “cacher”, mais au contraire pour protéger la nécessité de “révéler”. A la différence des avocats, les juristes d’entreprise ne disposent d’aucune indépendance puisqu’ils sont subordonnés à l’entreprise qui les emploie.

C'est pourquoi, à une très large majorité, le Conseil national des barreaux a marqué le 2 février 2024 son opposition ferme à la proposition de loi ce qu’il avait déjà fait le 3 juillet 2023 et le 30 mai 2015.

A l’instar du Conseil national des barreaux, les quatre Syndicats réunis sur cette question réitèrent leur opposition et vous demandent de rejeter cette loi qui, si elle était adoptée, porterait gravement atteinte tant à la profession d’avocat qu’aux droits des justiciables et au bon fonctionnement de la justice.

_______________________________________________________
1 (Laurence Usunier, L'attractivité internationale du droit français au lendemain de la réforme du droit des contrats, ou le législateur français à la poursuite d'une chimère, RTD civ., 2017 p. 343 : cite la réforme du droit des contrats de 2016, celle des sûretés de 2006 et l’instauration de la fiducie en 2007, ajoutons depuis celle des sûretés de 2021).
2 CJUE, 14 sept. 2010, C-550/07 Akzo Nobel

Axel Calvet